salvo

Grand Prix de la Semaine de la critique à Cannes, le long métrage de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza repose sur le singulier duo formé par un tueur à gages et de la soeur d’une de ses victimes. Un western mafieux écrasé par le soleil sicilien.

La Sicile ou le Far West de l’Europe. Avec leurs paysages époustouf lants et leur violence ancestrale, les films de gangsters siciliens oscillent toujours entre western et tragédie antique à la manière du mal-aimé Sicilien de Michael Cimino. Salvo, premier film de deux cinéastes palermitains, se coule magistralement dans le genre. Salvo est un tueur à gages et Rita, une jeune femme aveugle dont il vient d’assassiner le frère. Ému par la jeune fille, Salvo l’épargne mais la séquestre. En refusant d’exécuter Rita, Salvo rompt avec l’antique loi du Milieu et s’attire les foudres de ses commanditaires, bien décidés à perpétuer cet ordre immuable. Mais Fabio Grassadonia et Antonio Piazza ne se contentent pas de puiser paresseusement dans le folklore de la pègre. En choisissant de radicaliser les contrastes à tous les niveaux, ils inventent un film angoissant baigné d’un soleil noir, aux confins du fantastique.

Tout Salvo est articulé sur cette idée de contrastes entre clarté et obscurité, bruit et silence. Dès la scène d’ouverture, le film bascule de la lumière à l’ombre, du barouf au soupir. Salvo s’ouvre par une fusillade dans les rues de Palerme. Soudain, Salvo entre dans une maison. Le film d’action à ciel ouvert se transforme en huis clos feutré. On passe du point de vue de Salvo à celui de Rita, du film physique pétaradant au cauchemar sonore. Comme dans un film d’horreur, la lumière s’est estompée, on ne distingue dès lors plus grand-chose, sinon le visage en gros plan de Rita qui tâtonne dans la semi-obscurité afin d’échapper à son  bourreau. Derrière elle, opaque, Salvo la suit telle une ombre menaçante – un assassin dans un slasher – dont elle perçoit la présence au moindre pas qui grince de manière accentuée sur le parquet.

Dans Salvo, la violence surgit, mais de manière auditive, toujours hors champ. Elle est rendue insoutenable par la puissance du volume sonore qui rompt sans cesse le silence. Dans un autre gros plan en clair-obscur, Rita écoute son frère hurler puis tomber à côté d’elle. Attentive au moindre bruit, pour rompre le silence, Rita chantonne un air de variété, aux antipodes de l’aspect dramatique et anxiogène des cadrages, qui renforce la solitude du personnage. Ses chansons lui servent de refuge comme à Salvo la chambre close dans laquelle il végète.

 Dans tout bon vieux western, et à plus forte raison s’il se déroule sous le ciel impitoyable de la Sicile, le soleil terrasse le plan. Dans Salvo, il a beau être absent du cadre, il est bel et bien là et engagé dans un duel permanent avec l’ombre. Tel un personnage maléfique, le soleil cherche à atteindre de ses rayons ceux qui ont choisi de vivre terrés dans l’obscurité ou la pénombre pour lui échapper. Le soleil perce à travers les persiennes de la pension où Salvo dort. Il jaillit du désert et sa lumière s’infiltre dans l’usine où Salvo et Rita se sont barricadés. Il est le signe de cette violence sicilienne auquel les personnages tentent de se soustraire. Salvo est accablé de chaleur. Un film d’horreur en jaune et noir, quelque chose comme un croisement entre Le Samouraï de Jean-Pierre Melville et le Halloween de John Carpenter en terres azuréennes.