revesRêves d’or suit une poignée d’ados d’Amérique du Sud. Une errance romanesque qui carbure à l’amour et l’amitié et qui a l’acuité d’un documentaire.

Cette histoire, on la connaît par coeur. C’est celle des émigrés hispaniques, des hobos d’Amérique centrale qui tous les jours, sur le toit de trains de marchandises, parcourent du sud au nord le Mexique pour tenter de gagner les États-Unis. Déjà, il y a trois ans, Cary Fukunaga revenait sur ces voyageurs de la misère dans Sin Nombre. Mais dans Rêves d’Or, on est loin du sacrifice aux codes du thriller, à l’esthétique racoleuse matinée de pathos de ce dernier. Sans jamais renoncer à montrer l’horreur de ce voyage, Diego Quemada-Diez focalise son point de vue plein d’empathie sur trois jeunes personnages, véritables héros modernes qui construisent leur identité au fil des étapes de leur aventure.

Sara et Juan, deux adolescents guatémaltèques franchissent la frontière mexicaine pour gagner les États-Unis. Près du Chiapas, ils croisent la route de Chauk, un Indien qui s’éprend immédiatement de la jeune fille. Ils sont tous les trois renvoyés au Guatemala par les autorités mexicaines. Mais loin de renoncer, ils décident de repartir alors que les tensions se sont accrues entre les deux prétendants au coeur de la jeune fille. Commence un voyage semé d’embûches, où à chaque arrêt, les adolescents sont malmenés par des brigands, des paysans et des policiers venus exploiter leur misère.

C’est une idée romanesque qui lance le film, au lieu de s’y greffer par quelque artifice scénaristique. Le cinéaste choisit de faire de ce voyage sans retour la toile de fond d’un parcours amoureux. Chaque situation révèle la nature des sentiments de ces trois jeunes qui découvrent leur désir. Au début, Chauk et Juan ne peuvent pas se supporter. Chaque ennui est prétexte à des règlements de compte. Quand l’un des deux se fait tabasser, l’autre reste là sans agir, usant de la brutalité des policiers pour se débarrasser de son rival en amour. Au fur et à mesure, au gré de mésaventures brutales, souvent insoutenables, le cinéaste choisit de substituer au désir amoureux celui du compagnonnage. Chacun des trois adolescents finit par chercher le simple contact de l’autre pour conjurer sa solitude. C’est le sens de cette scène splendide où Juan retourne chez les bandits qui ont emprisonné Chauk pour le retrouver. Cerné par des gangsters, il ne bouge pas, reste stoïque face à eux, à deux doigts de prendre une balle dans la tête, en attendant qu’on relâche son rival. Sans son rival en amour, la suite du voyage n’aurait plus la même saveur.

Cette attention focalisée sur trois personnages en construction n’empêche jamais le film de gagner en ampleur. Au contraire, le cinéaste les saisit dans un style documentaire au milieu d’une foule anonyme et bigarrée. Dans leur voyage, ils font des rencontres plus ou moins heureuses. Quelques scènes frôlent le reportage et le cinéma vérité comme lorsque Chauk travaille pour des paysans pour gagner de quoi payer les passeurs à la frontière. On sent dans ces moments-là que le cinéaste est allé tourner sur place et que certains figurants improvisent. Il ne s’embarrasse jamais de dialogues solennels et le film, tout du long, conserve un ton laconique. D’ailleurs, l’Indien Chauk ne parle pas l’espagnol et préfère se taire. En focalisant une caméra aérienne au plus près des trois visages pris en étau au milieu de centaines de voyageurs, le film semble raconter trois destins parmi tant d’autres dans ce voyage qu’effectuent chaque jour – en vain – des milliers d’anonymes.

Il y a du Tom Sawyer dans ce parcours ferroviaire sans espoir. Une forme d’espièglerie juvénile qui permet de tempérer le lourd fatalisme du propos. Lequel plombe d’ailleurs la dernière partie du film. Comme la résurgence tardive d’un surmoi d’auteur, une volonté d’imprimer sa marque, de donner du sens à tout prix, qui empêche ces Rêves d’Or de conserver la grâce de ses audacieux partis pris romanesques. Ce qui en fin de compte n’est pas si grave. Reste d’abord en mémoire l’héroïsme de ces trois aventuriers de la dernière chance.