prisoners

Dans la banlieue de Boston, deux fillettes disparaissent. Prisoners, thriller labyrinthique signé Denis Villeneuve explore deux impasses : celles de l’enquête et celles de la société US.

Tout commence avec l’apparition du logo de la Warner. Au lieu du jaune sur fond bleu attendu, il s’affiche en noir et blanc. Suit un long plan d’ensemble, très cadré, sur un chevreuil au milieu d’une forêt sous la neige. Soudain, la caméra s’éloigne en un long et délicat travelling arrière fixe. On découvre un fusil puis deux chasseurs embusqués dans des parkas orange fluo prêts à tirer sur le gibier. En fait, contrairement à ce qu’on pouvait croire, le plan n’est pas en noir et blanc, mais en couleurs, la lumière étant venue seulement appuyer le contraste entre la blancheur des flocons et l’obscurité des bois. Si nous avons été trompés, c’est d’abord à cause de ce logo Warner à l’ancienne qui semblait annoncer un film classique, linéaire. Il s’agissait d’une fausse piste comme il en abonde de partout dans ce thriller labyrinthique, tortueux en diable de Denis Villeneuve.

Au cours d’un repas de Thanksgiving entre voisins dans la banlieue de Boston, deux fillettes disparaissent. Dès l’ouverture des recherches, les doutes se portent sur un handicapé mental qui rôdait non loin de l’endroit où l’on avait vu jouer les gamines. Sans preuve pour l’inculper, les policiers le relâchent au grand dam du père de l’une des deux fillettes. Lequel décide de se faire justice lui-même en le kidnappant et le séquestrant pour tenter de le faire parler. Tandis que, de son côté, l’inspecteur chargé de l’enquête suit un curieux jeu de pistes qui se révèlent souvent fausses et le mènent chez les délinquants sexuels de la région.

Fausse piste de taille, c’est celle des apparences de la société américaine, sa banalité ou sa respectabilité. Chaque détour de l’enquête est l’occasion d’une percée dans les foyers américains. Chaque suspect, mais aussi chaque victime, dissimule dans sa cave des secrets. Au gré de longs et savants travellings, sous une musique menaçante, on distingue en inserts des masques à gaz, des fusils, des objets qui donnent l’impression d’une violence contenue ou d’une catastrophe imminente. Dans cette Amérique, les curés sont des assassins et les bons pères de famille se transforment en tortionnaires dans des scènes rageuses, d’une violence extrême. Même la forme du film est en trompe l’oeil. Sous le vernis du thriller choc Prisoners est moins un film noir ludique et sanguinolent, à la manière de ceux d’un Christopher Nolan ou d’un David Fincher, qu’une enquête approfondie dans la psyché de l’Homo americanus. On n’est pas là pour jouir de la virtuosité de puzzles diaboliques comme on pourrait se perdre avec délice dans un dessin à pièges visuels imaginé par Escher. Après Incendies, il serait faux de croire que Denis Villeuve a renoncé à toute ambition en se pliant au diktat de l’entertainment hollywoodien. Chez lui, enquête rime toujours avec psychanalyse. Il suffit juste de suivre le bon fil d’Ariane.