final portraitL‘acteur spécialisé dans les seconds rôles, nommé à l’Oscar pour Lovely Bones de Peter Jackson, revient à la réalisation et s’intéresse au peintre Alberto Giacometti. Plus connu du grand public pour ses sculptures objets ou humaines filiformes, l’artiste suisse a peint à la fin de sa carrière des portraits monochromes cernés de lignes noires épaisses. C’est ce que capture Stanley Tucci dans ce huis clos aux nuances de gris. Final Portrait sort du cadre codifié du biopic pour se concentrer davantage sur le processus de création que sur la vie personnelle de l’artiste. Il s’agit de l’adaptation de A Giacometti Portrait, écrit par le critique d’art James Lord que Tucci considère comme « l’un des meilleurs livres jamais écrits sur le processus créatif ». Il recrée ainsi l’atelier parisien d’après-guerre de Giacometti et focalise sa caméra sur la relation amicale entre ces deux hommes. Nous sommes en 1964, deux ans avant le décès de l’artiste à l’âge de soixante-cinq ans. Giacometti invite Lord à poser pour son ultime portrait. Ce qui devait être un travail de quelques heures un après-midi se transforme en un chantier de dix-huit séances. Pour ce perfectionniste, aucune oeuvre d’art ne peut vraiment être accomplie – elle devient même dénuée de sens à l’ère de la photographie. Il passe ainsi les quatre-vingt-dix minutes du film à le démontrer, malgré lui, malgré ses efforts sur la toile. Final Portrait prend ainsi des allures de lutte existentielle, à la fois touchante et loufoque, sur la notion même de portrait, entre le peintre et son modèle. Après avoir incarné un pianiste surdoué dans Shine, pour lequel il remporta l’Oscar, Geoffrey Rush incarne ici les obsessions, l’exigence et l’insatisfaction dont souffre l’artiste. Alors que Giacometti peint, reconsidère et détruit les toiles les unes après les autres, James Lord prend conscience qu’il n’est pas près de rentrer à New York, repoussant vol après vol. Armie Hammer (Call Me by Your Name) transmet avec déférence le calme et la patience de ce passionné d’art, qui espère à chaque coup de pinceau la touche finale, tout en dégageant scepticisme, épuisement et désespoir du modèle, du moindre changement de posture à son expression la plus stoïque. La caméra de Tucci capture habilement ces instants, observant la beauté immobile de Lord, puis les traits audacieux de la peinture avant de revenir sur le visage de Hammer. De longues séances ponctuées par les allers-retours des proches de Giacometti, avec son frère sculpteur (Tony Shalhoub que Tucci redirige après La Grande Nuit et Les Imposteurs), sa femme (Sylvie Testud) et sa maîtresse et muse, une prostituée jouée par une fantasque Clémence Poésy. Tous ces éléments donnent de l’élan à ce film avec une dose de théâtralité et d’humour. À l’instar de Jackson Pollock ou de La Vie passionnée de Vincent van Gogh, Final Portrait fait partie de ces films rares qui considèrent les dilemmes de l’art attentivement.