pitActe de naissance. En 1959, Pit Kroke (mort en 2016), sculpteur et architecte accole les deux mots « photographie » et « concrète ». L’objet ainsi baptisé ? Un recueil de photos argentiques, non figuratives, tout en dynamisme lumineux (volutes, stries, trains d’ondes) et sérénité de composition (le fond noir, comme un sertissage, fixe, apaise, les caprices de la lumière). On pense aux avant-gardes de l’après-guerre, aux Zbignew Dlubak et consorts, ou encore à certaines tentatives de Man Ray. Rien d’étonnant, Pit Kroke vient d’un creuset bouillonnant d’idées et d’audaces : élève de Heinz Hajek-Halke aux Beaux-Arts de Berlin, il a bénéficié de la grande ouverture d’esprit du mythique professeur, qui laissait ses étudiants expérimenter à leur guise. C’est là que débute son aventure photographique – d’autant plus placée sous l’invocation des avant-gardes que le laboratoire a hérité du matériel du Bauhaus. Voilà pour la dimension historique, et on saura gré à Gimpel & Müller de ressusciter ce moment de l’histoire de la photo expérimentale. 

Mais les historiens de l’art ne seront pas les seuls à la fête ; ce qui frappe, hors de tout contexte, c’est la puissance d’évocation de ces images. La façon dont ici ces fentes lumineuses de tailles inégales s’assemblent pour former comme l’enregistrement graphique d’on ne sait quel événement biologique ou géologique, comme un cardiogramme ou un sismogramme. La manière dont, là, ces courbes qui ont la netteté géométrique d’un Sugimoto, prennent un aspect sidéral, raccordant soudain cette photo qui ne représente rien aux couches les plus profondes, les plus sensibles, de notre imaginaire. Celles qui frémissent et s’éveillent devant les mystères du ciel…

Exposition Pit Kroke, Photographie concrète, jusqu’au 23 novembre, dans le cadre de Photo Saint-Germain, Gimpel & Müller