irakIl aura fallu dix ans au cinéaste irakien Abbas Fahdel pour sortir ce qu’il considère comme « le film de sa vie ». Dix ans pour trier et monter les centaines d’heures de rush et accoucher de ce documentaire monumental de trois cent trentequatre minutes. Pendant de longs mois, Fahdel – qui a étudié le cinéma en France avec Rohmer, Rouch et Daney – a filmé sa famille, ses proches, ses amis avant et après l’intervention américaine en Irak de 2003. La première partie montre les Irakiens à la veille du conflit, soucieux de se procurer des denrées en cas de pénuries, de creuser un puits dans le jardin. Le ton est léger comme la vie au quotidien en famille : tout le monde semble certes soucieux, mais habitué aux menaces. On s’en préoccupe et on s’en amuse à la fois. Fahdel montre les uns et les autres au jour le jour, au travail, en voiture, chez eux ou devant la télé qui les agace à force de passer en boucle la propagande à la gloire de Saddam Hussein. La deuxième partie montre les Bagdadis au lendemain des attaques. Désormais, la ville est occupée par des soldats yankees en faction, un tank dresse son canon vers les habitants, les embouteillages se succèdent et des pilleurs saccagent les maisons et rendent toute sortie impossible à la tombée de la nuit. Certains regrettent déjà Saddam, d’autres se satisfont de sa chute. Au cours de ses déambulations, Fahdel est accompagné de Haidar, son neveu de douze ans, véritable héros malgré lui, gamin espiègle, jovial, d’une intelligence peu commune, sans idées préconçues. Il est le guide et le philosophe à la fois du film de la première à la dernière minute, celui qui nous conduit et nous présente les ruines de ce pays où avait éclos, il y a des millénaires, la civilisation. Haidar est le visage d’un peuple que nous semblons découvrir pour la première fois, comme si jusqu’à aujourd’hui le peuple irakien avait été une donnée abstraite plutôt que concrète. C’est l’une des vertus du film : changer notre regard. Mais Homeland n’est pas seulement le grand film d’un peuple, c’est aussi un document sur notre histoire actuelle. Car ces enfants souriants, joueurs, qui peuplent ce monument sont les adultes d’aujourd’hui, ceux qui désormais font – quel que soit leur parti – l’histoire de notre monde. Homeland nous permet de mieux comprendre la complexité actuelle, en nous permettant de regarder enfin de l’autre côté de l’écran.