jeune poèteA quoi ça ressemble un poète aujourd’hui ? Écrit-il seul à la lueur de la lune ? Parle-t-il en faisant des rimes à tout bout de champ ? Puise-t-il son inspiration dans son coeur transi d’amour malheureux ? Picole-t-il sec ? En répétant chacune de ces poses canoniques, réussit-il surtout à trouver l’inspiration ? Avec Un jeune poète, Damien Manivel rejoue un à un, sous forme de saynètes successives, tous les clichés de la poésie romantique. Tout ce qu’entreprend son jeune héros – sorte d’étudiant en lettres dégingandé, maladroit, sentencieux – est une succession de poses désuètes. Il part à Sète, berceau marin de Paul Valéry avec qui il discute solennellement, assis sur un banc face à la tombe muette. Quand il n’est pas en grand monologue avec le fantôme de son maître, il boit jusqu’à vomir par terre, hurle dans les rues fantomatiques de la ville son désespoir sentimental et artistique. Il regarde une mouette s’envoler, monte sur un édifice, s’adresse au ciel et aux éléments. À chaque rencontre amoureuse ou amicale, il croit bon de ponctuer chacune de ses phrases d’adjectifs ou de citations. Le jeune homme cherche désespérément l’inspiration qui lui manque en croyant bon de faire comme ses aînés. Un comique à froid, qui met mal à l’aise le spectateur (incapable de savoir si le garçon est sympathique ou insupportable), naît de la façon dont il se vautre dans chaque cliché, mais surtout de la nullité de son inspiration, de la littéralité pléonastique de ses envolées lyriques. Quand il voit un papillon, il prend son souffle, et déclame en stentor : « Ah, un papillon ! » Quand il se promène avec celle qu’il imagine déjà sa muse, il commente la vue d’un phare au loin : il est « majestueux ». Quand il l’emmène au musée, il lit à haute voix le cartel à côté du tableau comme s’il puisait ces informations au plus profond de lui-même. Quand il lui fait une déclaration d’amour, il ne sait que répéter « je t’aime ».

[…]

EXTRAIT… ACHETER CE NUMÉRO