lovingJeff Nichols délaisse la science-fiction spielbergienne pour plonger dans les racines de l’histoire américaine contemporaine. Celle des lois ségrégationnistes qui interdisaient encore à la fin des années 50 aux couples mixtes de se marier dans certains états, lois qu’un couple aura réussi à faire abolir en 1967 par la Cour suprême au terme d’un long combat judiciaire. Ce couple héroïque s’appelait les « Loving », ça ne s’invente pas. Et leur amour est un axiome, une évidence telle qu’il n’a pas besoin d’être montré. Au premier plan du film, Mildred explique être enceinte. Richard montre une brique à terre et décide de lui construire une maison. Comme échange amoureux, comme démonstration d’une idylle, ce sera à peu près tout. Les Loving s’aiment, leur amour est une évidence. Point d’étreintes dans Loving, point de baisers sinon un seul, furtif comme un baiser chez Rossellini. Avant ce film, Nichols n’avait jamais atteint une telle épure dans ses moyens. A Cannes, certaines fines bouches ont osé parler d’académisme. Mais l’académisme consisterait à plier devant les conventions hollywoodiennes : montrer le quotidien amoureux de ce couple, insister avec des scènes explicatives sur ce qui les unit, les détruit ou les renforce. Nichols ne plie devant aucune et effectue plutôt des choix drastiques au point de ne presque pas filmer le procès, le morcelant par de nombreuses ellipses. De même, Nichols n’use d’aucun artifice didactique pour représenter le racisme institutionnel. Le racisme est présent sans que jamais aucun personnage n’ait besoin de l’exprimer. Il court dans l’air, dans la lumière irradiante et palpable que retranscrit son chef opérateur habituel, Adam Stone. Rarement un film d’amour, inspiré d’une histoire vraie, un film sur la justice des hommes aura fait autant l’économie de dialogues explicatifs. Tout est contenu dans des bribes de mots échangés, moins secs que doux. Si Nichols évacue les scènes les plus attendues du mélodrame romantique, les codes du polar didactique à procès, que filme-t-il alors ? Il choisit de montrer la force inébranlable d’une relation adulte. A Hollywood, les amoureux sont souvent de grands enfants emportés par les affres de la passion ou des masos névrosés qui à force de se détester finissent par s’unir. Ses deux héros sont au contraire conscients de leurs choix, de leur union, de la légitimité de leur combat comme les amants de Sur la route de Madison d’Eastwood. Cette évidence est leur force et la croyance de Nichols. Si les premiers films de Nichols cédaient encore à quelques coquetteries, notamment par une façon de suspendre avec lourdeur une scène pour signifier sa maîtrise, Loving s’écoule naturellement, sans heurts jusqu’au carton final, où des mots viennent se greffer sur l’écran et inscrire cette petite romance dans la grande histoire de la Nation américaine. C’est exactement ce que faisait jadis Eastwood à la fin d’un autre de ses chefs-d’oeuvre : Impitoyable. Le vieux maître peut arrêter serein sa carrière, Jeff Nichols aura attendu quelques films pour prendre avec une douceur inouïe la relève du classicisme américain. Difficile d’espérer plus magnifique film que Loving mais gageons que la suite sera au moins aussi splendide.