MONSTRERodrigo Plá revient dans ce film au cinéma de genre, qui lui avait valu dès La Zona une reconnaissance internationale. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et avec Désert intérieur puis La Demora, le cinéaste mexicain a montré qu’il était capable d’inventer un cinéma certes réaliste et violent, mais assez étrange pour demeurer étanche aux simples genres. Mais avec ce Monstre à mille têtes, son quatrième film, et de loin le meilleur de tous, Plá complexifie le film-dossier. Sonia Bonnet est une mère de famille d’une quarantaine d’années. Depuis plus de six mois, elle tente en vain d’obtenir le médicament onéreux dont a besoin son époux atteint d’une maladie grave. Essuyant refus sur refus, sans explications de la part des assurances ou des médecins, cette mère de famille finit par passer à l’action. Elle kidnappe le médecin en charge de son mari et le force, arme au poing, à la conduire en pleine nuit chez tous les intermédiaires médicaux, légaux et administratifs qui lui permettront d’accélérer la procédure de délivrance du précieux remède. Dans sa course, Sonia est secondée par son fils, un tout jeune adolescent. A priori, rien de neuf pour le cinéma hispano-américain, et notamment mexicain, qui s’est fait une spécialité depuis quelques années des films de genre inspirés de faits sociaux  (Miss Bala, Heli). Seulement, à partir du schéma classique d’une nuit en enfer où l’on passe par toutes les strates du corps social corrompu, Plá choisit, une fois n’est pas coutume, de donner la parole à chaque protagoniste du drame. Se font entendre, en voix off, deux avocats, un petit ami, un médecin et sa femme, des assureurs, une secrétaire, des collègues de passage, un chauffeur, un concierge et, évidemment, Sonia et son fils. Tout en changeant de narrateur, Plá modifie sa manière de raccorder chacun de ses épisodes entre eux. À chaque début de scène, nous observons le hors champ de la précédente ou celui de la nouvelle, guidés par un nouveau personnage. Cette alternance de points de vue et de voix pulvérise les schémas sociaux attendus. Comme au cours d’un procès, chacun peut exposer ses raisons et ses opinions. Sont mises en lumière les dérives financières et sociales des puissantes compagnies d’assurance travaillant auprès des services publics. Mais Plá montre également la façon dont chacun nourrit la dérive sociale. La manière dont les réflexes de corruption finissent par avoir raison des mieux disposés. C’est ce que prouve ce plan bouleversant – aussi simple qu’absurde – de Sonia, au sol, en train de regarder en silence son fils tremblant, menacé par le bruit sourd des tirs policiers autour de lui. Dans la dérive de celle qui veut se faire justice elle-même, Sonia ne peut faire autrement que de mettre en danger son enfant.