Platon a gagné : il voulait virer les poètes de la cité, c’est chose faite. Quelle influence ont les poètes aujourd’hui en Occident ? Zéro. Où sont les Victor Hugo et les Goethe ? Nulle part.

Pourtant, je plains ceux qui ne lisent pas de poésie, tant elle est une promesse de paix, de réconciliation avec soi-même, et peut-être, pour un temps, avec le monde, tel qu’on aimerait qu’il soit. Adorno, dans son texte sur le rapport entre poésie lyrique et société (in Notes sur la littérature), nous explique comment elle est un rempart face à une société difficile à vivre. La poésie « est une forme de réaction contre la réification du monde, contre la domination des marchandises sur les hommes, qui s’est répandu depuis le début des temps modernes et développée après la révolution industrielle jusqu’à devenir la force dominante de la vie. (…) La poésie implique la protestation contre un état social que chaque individu éprouve comme hostile, étranger, froid, étouffant… »

Voilà à quoi sert la poésie, et voici à quoi sert Rimbaud, tel que nous l’avons abordé dans notre dossier, dans un choix d’auteurs subjectifs vu qu’à peu près tout le monde a écrit sur lui*. Yves Bonnefoy, dans un entretien exceptionnel et exclusif, nous dit qu’il est un rempart efficace aux idéologies d’aujourd’hui ; Michel Leiris qu’il est un révolutionnaire, contre les lois de l’univers et de la société ;  Blanchot qu’il fait « de la littérature une expérience qui intéresse le tout de la vie et le tout de l’être » ; Henry Miller, lui, l’imagine bien en train d’hurler à la société cultivée « Va te faire enculer… ! » ; Drieu la Rochelle, qui de son côté, voyait Rimbaud en mystique « sauvage, perdu, sans sens, sans but, sans substance… » ; et quelques autres, et non des moindres comme  Roland Barthes, qui nous disent et redisent à quel point Rimbaud est mythique, et de ce fait, nous est nécessaire.

Rimbaud, qui aurait sûrement levé les yeux au ciel devant tous ses regards, avait lui aussi une petite idée de ce qu’il avait à faire : « Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! »

* Voir les recueils de textes intéressants sur le poète dans Rimbaud après Rimbaud. Anthologie de textes de Proust à Jim Morrison, réunis par Claude Jeancolas, Textuel, 2004, et Les Cahier Arthur Rimbaud, dirigé par André Guyaux, Éditions de l’Herne, 1993.