blind sunOn a trop souvent tendance, le maître n’ayant pas réalisé de film depuis près de dix ans, à vouloir dénicher un peu partout des héritiers de David Lynch. Dire d’un film qu’il a des accents « lynchiens » est devenu une sorte de figure imposée de la critique, mais le fait est que certains films se prêtent idéalement au jeu. Prenons quelques séquences de ce Blind Sun . Celle d’ouverture par exemple : un homme, Ashraf Idriss (Ziad Bakri, charisme tranquille, impeccable) roule longuement sur une route déserte et tombe sur un policier à moto. Contrôle d’identité, regards insistants d’un côté comme de l’autre : c’est le flic qui en devient suspect. Plus loin, Ashraf, engagé par une famille française pour garder seul leur grande villa grecque, est frappé par le soleil aveuglant du titre, et sa vision fortement altérée, ce que traduiront plusieurs plans subjectifs. Plus loin encore, Ashraf arrive dans un hôtel de luxe où une chanteuse à la tenue rétro évoque irrésistiblement celle de Blue Velvet .

Lynchiennes, ces séquences le sont par leur art d’exposer un certain nombre d’éléments mystérieux dans des plans alternativement très larges et très rapprochés, jouant par exemple sur un insert sur une partie du décor susceptible de cacher quelque bête tapie. Mais on peut dire aussi que ce film étiqueté « lynchien » échappe au maniérisme grâce à sa maîtrise dramaturgique. Joyce A. Nashawati, pour son premier long, prolonge la démarche inaugurée dans des courts métrages remarqués et installe un sentiment d’inquiétante étrangeté dans cette Grèce qu’elle connaît pour y avoir vécu. Seul dans la villa durant la plus grande part du film, Ashraf n’est accompagné que par son  ombre, les décorations de cet intérieur cosy, l’ordinateur sur lequel il échange par Skype avec ses employeurs. La seule présence vivante régulière est celle du chat Maxime.

Nashawati s’affirme de scène en scène comme une cinéaste dont les influences les plus probables (Lynch donc, mais aussi Polanski, voire Camus, via cette figure d’Arabe et le regard sans empathie façon Meursault que porte sur lui le pays d’accueil) pèsent de moins en moins lourd. À mesure que son personnage est isolé dans sa peur, la mise en scène se fait plus personnelle, tendant même par endroits, par le simple jeu des raccords, à l’expérimental. L’emploi de la lumière par l’immense chef opérateur grec Yórgos Arvanítis participe de la confusion entre la subjectivité d’Ashraf et le constat d’une menace bien réelle. On ressort du film sans réponses, la nature de la menace n’étant jamais clarifiée, mais convaincu que le cinéma de Joyce A. Nashawati existe bien pour lui-même.