puklusBonne nouvelle : la galerie Folia expose un des plus enthousiasmants photographes hongrois du moment, Peter Puklus. Un regard d’entomologiste pourtant pétri d’humanisme…
 

Peter Puklus, ou le Perec hongrois du XXIe siècle ? On avait rencontré l’étoile montante de la photo hongroise à l’occasion d’une escale à Budapest, et déjà on s’était trouvé face à une énigme en forme de dilemme. D’un côté, un art attentif aux objets, au point d’évider parfois l’image de toute présence humaine ; de l’autre, dans ses paroles, mais aussi dans les traces de cette même présence qu’on croyait absente. Comme le désordre d’une activité laissée en plan quelques secondes avant que l’objectif ne se déclenche, ou les marques visibles d’un passage ou d’une occupation. Oui, Puklus saisit les objets comme Perec les choses du roman du même titre : comme les reflets fragmentés d’une vie, des condensés d’existence. Plus même : il donne au quotidien, si banal, si impersonnel, la chaleur vibrante d’une intimité.

Et la série exposée à la galerie Folia, One and a Half Meter, est peut-être l’exemple le plus net de cette confluence. Photos d’intérieur, avec ce grain ripoliné, presque vernissé, de l’hyperréalisme : scène de repassage, mais décadrée de façon à faire ressortir le fer et la table ; évier où s’entasse de la vaisselle, le tout baigné d’une lumière immaculée. La lumière, justement, est paradoxale, à la fois clinique, très bloc opératoire ou allée de supermarché et, en même temps et sans contradiction, irradiant une espèce de douceur caressante. Le froid et le chaud, le froid estle chaud. Comme pour mieux nous accueillir. Car c’est bien ce que racontent ses photos : une histoire d’hospitalité. Montrant des espaces habités, ou habitables, elles nous incitent à y prendre place nous-mêmes. A nous demander comment nous occuperions les lieux, comment nous y vivrions. Bref, on s’y invite. 

Et on s’y invite d’autant plus que certaines photos sèment des amorces de récits possibles : cette jeune femme vue de dos se lavant pendant qu’un autre personnage, sur le lit, l’observe : qui sont-ils, que font-ils, pourquoi ? Toute une histoire est là, en germe, mais aussi dans ces autres clichés qui semblent emprunter à Nan Golding, pour la lumière là encore, ce grain est celui de l’éclairage artificiel, mais aussi pour cette façon de saisir une intimité par le côté troublant, voire trouble. Prenez cette jeune femme en chemisier, absorbée dans ses pensées, un sein à nu, parfaitement visible ; ou ce buste d’homme qui envahit l’image, impose l’éclat de sa peau, sa pilosité, comme le point de départ d’une rêverie érotique… A nous de déplier ces histoires, de rentrer dans ces vies, d’enter nos propres fantaisies, nos réminiscences et nos associations d’idées, à ces visions d’autrui. Et c’est sans doute ça, que suggère, en filigrane, toute la série : que dans un univers dominé par l’objet, au point d’en être congestionné, au point d’évacuer ou de dissimuler le vivant, la relation avec le prochain est toujours possible. Mieux même : que ces matières inertes, plastique, carton…, que ces espaces où nous n’avons a priori pas notre place sont justement ce qui permettra de nouer, de renouer ces relations.