pentagonDeux mois avant son retour très attendu à la SF avec Ready Player One, Spielberg poursuit son exploration de l’histoire des Etats- Unis et de l’histoire du cinéma américain entamée depuis 2011. Après les fordiens Cheval de guerre, Lincoln et Le Pont des espions, il réinvente dans Pentagon Papers le cinéma du Nouvel Hollywood. Ce dernier film s’offre comme la première partie du légendaire Les Hommes du président de Alan J. Pakula (1976). Quelques mois avant le cambriolage des locaux du Parti démocrate à Washington survenus en 1972, certains journalistes avaient révélé les résultats d’une étude de sept mille pages préparée par le département de la Défense à propos de l’implication politique et militaire des Etats-Unis au Vietnam. Contrairement à Pakula, c’est moins l’enquête journalistique qui intéresse le réalisateur que de comprendre tous les obstacles (sexuels, intimes, financiers, sociaux, juridiques, éditoriaux) qui auraient pu empêcher la publication de ces études. Lesquelles mettent en cause l’hypocrisie des différentes administrat ions présidentielles qui se sont succédées à la tête de la Nation depuis une décennie.

Pour ce faire, Spielberg creuse la nature de la relation entre Katharine Graham (Meryl Streep), première femme directrice de la publication d’un grand journal américain, et Ben Bradlee (Tom Hanks), son rédacteur en chef entêté qui la prend de haut. Issue d’une vieille garde, née dans les années 20, mus par des intérêts à priori différents, ils ne semblent au départ pas se comprendre. À ce jeu, Meryl Streep, en douairière ahurie, dépassée par les événements vole la vedette à Tom Hanks, qui incarne la figure légendaire du rédacteur en chef zélé. Pour faire s’agiter autour d’eux un monde mouvant, soumis à des conflits éparses, Spielberg invente une séquence hitchcockienne étourdissante, inédite où, pressée de toute part par ses investisseurs peu scrupuleux, ses sbires hypocrites, ses amis intéressés, Graham doit décider au téléphone de publier ou pas les fameux « Papers ». Par un effet de montage ingénieux, le spectateur est suspendu à ses lèvres comme elle-même au fil qui la relie à sa dizaine d’interlocuteurs essayant chacun de faire valoir leurs raisons. Au cours de cette séquence d’anthologie, la multiplication des avis contradictoires provoque le vertige et Meryl Streep se montre géniale pour mimer la confusion mentale et conclure la scène d’un geste d’actrice mémorable.

On pourrait citer des dizaines d’exemples semblables, telle cette scène de fébrilité et d’excitation journalistique (il faut éplucher les sept mille pages du rapport en quelques heures), scandée par les déambulations d’une gamine cherchant au milieu des reporters assis à lire et à écrire, à leur vendre à tout prix de la limonade. Pentagon Papers est un film sur une Nation qui s’est longtemps, aveuglée, perdue, et qui est sur le point de reprendre en main les rênes de son destin. L’Amériques est la super héroïne de Spielberg qui, film après, film retrace chacune de ses aventures. Mais il le fait avec fluidité et sans effets tape-à-l’oeil. Dans ce film où la part belle est faite aux dialogues, Spielberg fait même la nique aux jeunots, rendant vains la plupart des récents films à grands sujets calqués sur des modèles de séries télé comme Le Grand Jeu ou Les Heures sombres.