au delà des montagnesUne pensée très bête nous est souvent venue devant ses films, découverts un à un avec une perplexité tenace malgré les éloges alentour : la qualité principale de Jia Zhang-Ke, c’est la Chine. Sa dinguerie exponentielle, ses chantiers grandeur nature. La Chine des trente dernières années, dont JZK s’est fait l’archéologue au présent, c’est du cinéma offert sur un plateau.

Pareille bêt ise se rembarre facilement, ne serait-ce qu’en rappelant que c’est tout le talent d’un cinéaste que de savoir faire sienne la puissance objective du réel. Sauf qu’elle nous a repris devant Au-delà des montagnes , augmentée de questions tout aussi bêtes du genre : que reste-t-il de la très laborieuse partie « 1999 » si on la soustrait au contexte de Fenyang, ville minière ? Que reste-t-il des disputes des trois héros si on retire de l’arrière-plan ce temple au toit recourbé ou ce fleuve large comme trois des nôtres ? Il reste un trio d’acteurs assez mauvais (que donnerait leur jeu une fois retirée la couche idiomatique ? ; on en aura un aperçu lors de la dernière partie en anglais), dont les dialogues plus paresseux que laconiques n’élèvent pas ce micmac amoureux beaucoup plus haut qu’un soap.

Heureusement , la Chine est, plus qu’un cadre, un agent narratif. La bluette écorchée se trouve rehaussée d’être en partie articulée au contexte économique et historique, ou d’en être pour le moins la métaphore. Tao délaissant le mineur Lianzi pour le propriétaire de la mine, Zang, nouveau riche et bientôt nouveau milliardaire, c’est le pays qui abandonne sa classe ouvrière pour s’offrir en pâture aux spéculateurs. Métaphore lourde comme une allégorie, mais qui a le mérite d’ouvrir, à partir de la partie 2015, une série de notations précises sur les transformations du pays : le pétrole préféré au charbon, les cancers précoces des mineurs, le prolétariat de la Chine profonde vouée à migrer pour survivre, le devenir-mafieux des spéculateurs, etc.

Mais le plus remarquable de cette batterie de symptômes subtilement instillés concerne le fils de Tao et Zang. On passera sur le fait qu’il s’appelle Dollar, pas le plus heureux des symboles inventés ici. Plus marquant est qu’il vit avec son père, lequel a tôt délaissé Tao, car l’éternelle régénérescence du capitalisme ne saurait s’encombrer d’un corps vieilli ; qu’une certaine « mummy  », simple voix féminine exhalée par sa tablette, lui prodigue des instructions quotidiennes ; que la partie 2025 le trouve en Australie, dans un cours de fac où cet anglophone réapprend sa langue maternelle. À se mondialiser, l’élite chinoise a perdu son chinois. Avec son père, qu’il a suivi dans ce nonlieu où il fuit la justice, Dollar ne communique plus que par Google traduction.

[…]

EXTRAIT… ACHETER CE NUMÉRO