desbiollesLe livre d’enquête, aux confluences de l’autofiction, de la biographie documentée et de la réflexion distancée, semble une valeur sûre de notre littérature-c’est du moins une écriture qui séduit de nombreux écrivains. Avec Le Beau Temps, Maryline Desbiolles s’attache à la figure de Maurice Jaubert, compositeur sensible et intellectuel éclairé de la première moitié du xx• siècle, assez célèbre pour laisser son nom à un établissement scolaire de sa région natale, trop obscur pour être connu du grand public. L’auteure d’Anchise le suit pas à pas, s’appuyant sur des photos, des témoignages, des remarques sur les oeuvres musicales, des supputations, des va-et-vient avec sa propre existence, avec pour projet affiché non pas de « déchirer son opacité mais de l’aimer».

De fait, le livre verse dans la déclaration d’admiration sans bornes, la complicité affectueuse,jusqu’à frôler l’hagiographie. Maurice Jaubert, homme brillant, intègre et modeste, a traversé une époque de grande confusion avec une liberté et une grâce déconcertantes. Quand d’autres se perdent en des combats douteux ou des compromissions, lui reste« sans taches», aussi limpide que le beau temps qui illumine les paysages méditerranéens. Mais comme si la réalité des faits ne suffisait pas à auréoler le héros, l’enquêtrice en rajoute gratuitement : Guernica est exposé au pavillon espagnol lors de !’Exposition universelle de 1937 ? “Maurice Jaubert a dû beaucoup l’admirer.” Trop de dévotion et de bons sentiments finissant par indisposer, un lecteur doté d’un tant soit peu de mauvais esprit se prendra à rêver de l’existence d’un Démolir Maurice Jaubert, à la Chevillard.

Réduire l’oeuvre de Maryline Desbiolles à un éloge dégoulinant serait cependant injuste. D’abord parce que, par un mimétisme touchant, elle écrit avec retenue et pudeur, sans effusion. Ensuite parce que, modernité oblige, elle narre autant les aléas de son écriture que les épisodes de la vie de celui qu’elle refuse d’enfermer dans le cadre étroit de “sujet” de livre. Sur le modèle musical des thèmes et variations, le récit suit ainsi une chronologie principale mais se permet de nombreuses digressions, analepses et prolepses, offrant par exemple de belles pages sur les derniers instants de Maurice Jaubert, tué lors de la campagne de France en 1940. Même si les interrogations narratives sont parfois artificielles (” Je connais le dénouement mais pas la fin du livre ” – la belle affaire !},I ‘écriture est suffisamment parcourue de petits imprévus et d’ouvertures poétiques pour échapper à la raideur de l’ oraison funèbre.

Enfin et surtout, c’est tout un monde riche et complexe que ressuscite Le Beau Temps. Au détour des grandes décisions de Maurice Jaubert, à la fois promoteur de musique « populaire » de qualité, indéfectible soutien d’Esprit, et oeuvrant pour le cinéma des années trente, on croisera des silhouettes aussi variées que celles de Ravel, Giono, Emmanuel Mounier, Kurt Weill ou Jean Vigo. De la même manière, les événementsdramatiquesqui ponctuent la marche vers la guerre sont intégrés avec sobriété et rigueur, donnant un relief aigu à un récit qui sans cela serait un peu mince.

Le beau temps
Maryline Desbiolles
Seuil