AVANTAGE DU DOUTEConnaissez-vous la légende qui court à Bornéo ? Les Orangs-Outangs savent parler, mais refusent de le faire ; ils craignent d’être mis au travail s’ils ouvrent la bouche. De cette blague, naît le nouveau spectacle du collectif l’Avantage du doute, La Légende de Bornéo. Vous avez déjà entendu parler de ce collectif dans les pages cinéma de Transfuge. L’une d’entre eux, Judith Davis vient de sortir son film, Tout ce qu’il me reste de la révolution. Le titre en était emprunté au spectacle qui depuis plusieurs années fait connaître ce jeune collectif sur les plateaux du théâtre français : Tout ce qui nous reste de la révolution, c’est Simon. C’est un beau titre pour un premier spectacle, parce que les auteurs y règlent leurs comptes avec le passé, sans tabula rasa : il reste Simon. C’est-à-dire Simon Bakhouche, très beau comédien, ancien clown, qui insuffle une force poétique et mélancolique au collectif.  Le lieu duquel parle ce collectif est le nôtre : l’après, après soixante-huit, ce pays des années deux-mille où la révolution est un lointain souvenir d’autres possibilités d’existence. Alors ils partent d’ailleurs, de leurs langues, de leurs références pour décrire le monde d’aujourd’hui. Comme le dit Judith Davis dans cette Légende de Bornéo, avec provocation et humour : Shakespeare, c’est bien, mais ils ont envie d’autre chose. 

L’Avantage du doutes’est constitué au cours d’une rencontre avec les TG-Stan, et partage avec les célèbres Belges une liberté de jeu totale, et une croyance, fondamentale, en une écriture de plateau que rien n’harnacherait. Dans ce spectacle, la question porte sur le travail. Faut-il, ou non, travailler ? Et, de manière plus centrale, comment le travail nous transforme-t-il ? Par le langage, le corps, la sexualité…Au gré de plusieurs scènes, de couple, de famille, à Pôle Emploi, le collectif se confronte à ces questions, et parle, parle. Mais s’il faut parler, contrairement aux Orangs-Outangs, ce sera aussi pour hurler, se confronter, faire naître une vie sur scène. Judith Davis, qui comme les quatre autres acteurs, garde son nom sur scène, excelle à cette démesure, dans un jeu franc, insistant, de corps et de cris, à la Pialat. Ainsi de cette confrontation, drôle oui, mais réflexive aussi, entre deux soeurs, l’une mariée, responsable marketing d’une agence de voyages, l’autre, comédienne, enchainant les petits boulots pour survivre. Judith Davis et Mélanie Bestel, la volcanique et la retenue finissent par s’enlacer, après les cris, et les injures. 

Ce spectacle sur le travail, ce n’est pas une petite affaire pour ces comédiens et auteurs d’une trentaine d’années qui ont choisi de quitter la société professionnelle rémunératrice et productive, pour monter un collectif de théâtre. Non pas que ce spectacle qui oscille entre surréalisme et vie contemporaine, relève de l’autofiction. Mais les cinq figures du collectif ont écrit à partir de leur vie, et sans doute de leurs proches.

Très beaux moments où les langages se heurtent, le leur, et celui des discours marketing, porté par Nadir Legrand : « gérer les conflits », « optimiser les groupes », il déploie au ce langage, et fait voir le bouleversement qu’il induit dans les rapports humains. Cet entrelacement du jeu, de l’écriture de plateau, et de la poésie fait de ce spectacle une très belle réussite. Giorgio Agamben est ensuite cité, sur la possibilité de l’expérience aujourd’hui. Si la pensée est belle, l’on regrettera qu’il faille ainsi convoquer un théoricien dans un spectacle aussi libre. Ceci dit, les acteurs récitent Agamben en dansant, et rien que pour cette si heureuse performance, tout leur est pardonné.