mabankou“A Petit Piment qui tenait à être un personnage de fiction parce qu’il en avait assez d’en être un dans la vie réelle”, écrit Mabankou en dédicace de ce onzième roman. Chose promise, chose due, Petit Piment est désormais un roman. Mais un roman qui fait le contraire de la promesse, un roman où le réalisme l’emporte haut la main sur le magique, un roman qui commence comme une fable congolaise façon Verre cassé ou Mémoires de porc-épic, et qui vire d’un coup à la tragédie athénienne. Et quand Mabanckou trempe sa plume croquignole dans le tragique d’Eschyle, il faut reconnaître que cela surprend. Très agréablement.

A l’orphelinat de Loango, il y en a plein, des fils de rien, des humiliés, des« Petit Piment ». Ils se bagarrent, ils manoeuvrent, ils mijotent des sales coups. Alors il faut bien les remettre dans l’axe. La chicotte, c’est le truc préféré de Ngoulmoumako, le directeur, un vrai salaud, un idiot, et surtout un vendu – sûrement pas très cher- au nouveau Dieu, le Parti congolais du travail (au pouvoir depuis le départ des colons en 60). Heureusement qu’il y a Papa Moupelo, qui leur apprend moins l’évangile que la danse des grenouilles, leur fait oublier« les punitions des jours précédents» dans de fabuleux « moments de liesse» où ils se souviennent qu’ils sont vivants. Qu’ils ne sont pas que des vauriens, qu’ils sont peut-être même les« Moïse noirs nés sur la terre des ancêtres». C’est Papa Moupelo qui l’a dit un jour à Petit Piment, il est important. Et puis il y a Sabine, l’infirmière, douce, qui répare les bobos et dont ils sont tous amoureux.

Avant, ici, il y avait les Blancs. Maintenant, ici, il y a les rouges. Espérons qu’un jour, ici, Pointe-Noire Congo Brazzaville, il y ait les Noirs. En attendant, les communistes ont créé une section de jeunes pionniers de la révolution, à l’orphelinat. A la limite, ça nechangepaslavie desenfants.Maisce qui la leur pourrit, c’est que ce gros fayot de Ngoulmoumako a fait disparaître Papa Moupelo et Sabine. Trop «curé», trop« de l’ethnie des dominés », pas assez « révolution socialiste scientifique». Faudrait pas qu’une bible ou un pansement ralentisse« la marche du pays vers le futur» (et surtout vers la Russie). Du jour au lendemain, ils sont partis, et les deux seules 1 umières de Pointe-Noire se sont éteintes. Alors Petit Piment s’est tiré. Avec deux mauvais gars, deux petits caïds pas fréquentables, c’est sûr, mais Bonaventure, son copain, n’osait pas. Il est parti grandir ailleurs, grandir mal, sur le pavé, dans la nuit, le repère des putes zaïroises – arches immobiles et tièdes, les amantes et les mères. Et ce n’était pas si terrible, jusqu’à ce que la police les prenne en chasse, eux, les« moustiques», les« errants de la côte sauvage», eux et leurs sorcières dépravées. C’est le troisième tiers du livre et le ton monte. Mabanckou durcit la langue et la pensée. Fini les jeux de mots,« les moustaches en deuil», les danses africaines et le bariolage tribal, le tableau tourne au noir. Dans cette ville« qui semble tout broyer», Petit Piment ne fera pas exception. Il devient fou à lier. Une démence épaisse, froide, inconsolable, que ni les cachets du neurologue bac+ 13 ni le pipi de criquet du vieux marabout ne sauront guérir (pas plus qu’ils ne nous feront sourire). Le roman se fait social et politique; plus de magie, juste la réalité crasse du Congo des années soixante-dix. Le Holden Caulfield africain tombe sur le sol dur de la réalité. Et c’est Mabanckou qui le réchauffe, avec tendresse, dans ce roman qui aimerait bien n’être qu’une fiction, mais qui en vérité est bien plus.

Petit Piment
Alain Mabanckou
Seuil