que le diablel’aventure. C’était le titre d’un des plus beaux films de Brisseau. Ce pourrait aussi être le sous-titre de toute son oeuvre. Comme une invitation à la dérive, un programme, concerté et déconcertant, d’égarement des sens et du sens. Car les histoires qu’il met en images tissent des rencontres fortuites d’hommes et de femmes (ou de femmes seulement), dessinent des jeux interdits, où l’érotisme mue naturellement en ésotérisme. Les personnages de Brisseau, si banals qu’ils puissent parfois apparaître, sont des êtres en quête d’aventure : de transcendance, de dépassement des routines. Il s’agit toujours de sortir des sentiers balisés de l’existence ordinaire. 

Mais, contrairement au précédent opus, La Fille de nulle part, où on saisissait d’emblée que la vie d’un vieil homme allait être bouleversée par l’irruption d’une jeune fille, Que le diable nous emporte prend d’abord son temps. Rien ne semble annoncer que des vies vont bifurquer, se modifier. Camille, la quarantaine (Fabienne Babe), trouve un téléphone portable perdu. Et reçoit un appel de sa propriétaire, une certaine Suzy. Laquelle lui propose gentiment de venir le récupérer dans son appartement. Détail qui n’en est pas un : Camille n’a pu s’empêcher de jeter un oeil sur les vidéos de ladite Suzy, où elle se filme nue, dans des lieux publics, en quête de plaisir.

Lorsque la jeune femme (Isabelle Prim) se présente à elle, le trouble de Camille est furtif. Le hasard faisant bien les choses, le hobby de Camille consiste à filmer et photographier des femmes nues – mais en travaillant l’image dans une perspective esthétique, de façon « expérimentale ». On devine que Camille est l’héritière du cinéaste des Anges exterminateurs : un substitut de Brisseau. Mais là n’est pas l’essentiel. A mesure que les personnages s’apprivoisent, ils constituent une société secrète, à la fois érotique et spirituelle. Et ces relations qui jouent sur les désirs et les coeurs, qui pourraient, comme dans tous les jeux de l’amour et de la chair, blesser ou léser, ne débouchent jamais sur le drame. Ainsi, lorsque Fabrice (Fabrice Deville), un des amants de Suzy, déboule, fou de jalousie, flingue au poignet, la situation, potentiellement dramatique, fait long feu.

Dès lors, les histoires s’enchevêtrent : Suzy, Fabrice, Camille, Clara, l’amante de Camille, tous esquissent un ballet aux figures complexes, parfois loufoques, mais toujours légères. Sans doute parce que tous les personnages cohabitent, littéralement. Les uns dans l’appartement de Suzy, les autres juste au-dessus, dans celui qu’occupe un certain Tonton (Jean-Christophe Bouvet). Sans oublier celui de Fabrice, qui deviendra l’amant de Camille. Brisseau acquiert dans ce partage généralisé, des espaces comme des corps, et par la grâce du montage parallèle, une légèreté, une mesure que l’on ne lui connaissait pas. Et qui lui permet de conclure avec un éclat de rire final.