carlos fuentesCarlos Fuentes livre dans La Volonté et la Fortune une comédie du pouvoir qui dresse l’un contre l’autre deux amis, ayant choisi le premier la politique, le second les affaires. Une fresque contemporaine du Mexique gangréné par le crime.

          Ceux qui de simples particuliers sont élevés à la souveraineté par la fortune ont peu de peine, il est vrai, à réussir, mais ils en ont beaucoup à se maintenir […] Ceux-ci ne se maintiennent que par la volonté et la fortune de ceux qui les élèvent ; fondements bien peu solides. » Cette idée bien connue, énoncée par Machiavel dans Le Prince, a largement été discutée. Comment le détenteur du pouvoir politique peut-il pérenniser sa légitimité, dès lors que celle-ci est  soumise au bon vouloir de ses administrés ? C’est la question qui sous-tend l’avant-dernier roman de Carlos Fuentes, La Volonté et la Fortune
          Le livre de l’auteur mexicain (décédé l’an dernier) suit, sur plus d’une décennie, deux garçons, Jéricho et Josué, amis depuis leurs années au lycée. Orphelins tous deux, ou du moins sans parents connus, ils entament ensemble leur vie d’adulte en empruntant chacun un destin singulier. L’un, après des études de droit, entre au service du président du Mexique, Valentín Pedro Carrera ; l’autre travaille auprès du magnat des télécommunications, Max Monroy, dans un immeuble ironiquement baptisé Utopie. 
          Ces leaders incarnent deux conceptions différentes du pouvoir : le premier règne en multipliant les fêtes et manifestations destinées à divertir son peuple ; tandis que l’autre fait de l’information, accessible à tous et à tout moment, un outil au service de la démocratie en même temps qu’un produit de consommation. Des deux, quel est le plus apte à diriger un pays qui s’enlise dans la violence, plombé par les différences croissantes entre pauvres et nantis ? 
          Construite sur le modèle des paraboles bibliques (la prophétie, la rédemption, le purgatoire…), cette fable politique fait écho à l’histoire moderne du Mexique. On y reconnaît aisément la figure de Carlos Slim Helú, fondateur d’un géant des télécoms, et plus grande fortune mondiale. On y devine aussi une dénonciation à peine masquée des tribuns populistes (Carlos Salinas de Gortari, Vicente Fox…) qui se sont succédé à la tête de l’Etat mexicain depuis les années 1980. 
          A travers les itinéraires de ses deux jeunes héros, des Castor et Pollux qui de leur propre aveu finissent par prendre les traits de Caïn et Abel, Fuentes s’attache à montrer à quel point son pays natal, gangrené par la corruption, le chômage et la drogue, est ingouvernable. Car, dans cette fresque foisonnante, personne n’est ni à condamner ni à sauver : qu’il s’agisse de Miguel Aparecido, condamné pour tentative d’assassinat, qui refuse de sortir de prison où il fait la loi, de Lucha Zapata, la maîtresse de Josué, idéaliste et meurtrière, ou encore de Jéricho, lui-même, conseiller du président, qui fomente un coup d’Etat contre lui. 
A l’instar d’une de ces narconovelas qui font fureur en Amérique latine, le roman s’ouvre sur la description insoutenable de la tête tranchée de Josué, léchée par les vagues du Pacifique. C’est de cette tête que viendra le récit des nombreuses péripéties vécues par le jeune homme comme par le Mexique tout entier. Une forme d’hommage appuyé à tous les assassinés de ce pays.