vie d'artisteC‘est un florilège pour le moins instructif que nous offre le Louvre, dans sa Petite Galerie, depuis le 24 septembre et pour toute la durée de l’année scolaire : un choix scrupuleusement étudié de trente-six oeuvres, ambassadrices d’un parcours de réflexion sur la « Figure d’artiste », comme l’annonce l’un des commissaires de cette exposition, Jean-Luc Martinez, directeur du musée. Et puisque la vocation du Louvre est d’embrasser les cultures, et l’un de ses privilèges, de pouvoir élaborer des thèmes transversaux, la littérature vient ici en renfort pour célébrer un même imaginaire et répondre à des questions sous-jacentes : Qu’est-ce qu’un artiste ? Comment et quand s’est-il défini comme tel ?

Le tag 

L’apparition de la signature et sa signification originelle sont la pierre angulaire d’une longue histoire qui conduira à l’abolition de l’art à travers le tag : signature pure, sans oeuvre. Au fil des âges, l’artiste ne se contente plus de donner anonymement à voir ce qu’il a produit, il aimerait qu’on sache que ce prodige a été conçu par un démiurge singulier, au-dessus du lot. De cette aspiration à la distinction va naître la notion d’artiste par opposition à artisan (en latin comme en grec, il n’existait qu’un seul mot : artifex ou tekhnitès). 

Dans les corporations artisanales, au Moyen Âge, il fallait réaliser une oeuvre majeure, un chef-d’oeuvre, témoin d’un savoir-faire, pour se voir attribuer le titre de master du métier qu’on avait appris. Les premières signatures de « maître » qui ne soient pas celles d’un atelier revendiquent cette habileté technique : labels de qualité, en quelque sorte, elles ont, semble-t-il, une fonction purement commerciale. En témoigne la céramique grecque que l’on exportait beaucoup dans la Grande-Grèce, au sud de l’Italie. Ainsi s’assurait-on un renom ou un statut social. À mesure que le talent artisanal se singularise et que la part créative augmente, le maître prend conscience de sa réussite, sinon de son génie. Au IIe millénaire avant J.-C., le scribe et sculpteur Irtysen, chef des artisans d’Abydos, en Égypte, décrit ses quelques aptitudes techniques sur sa stèle, adressées à l’attention d’Osiris, dieu des morts : peut-être espérait-il qu’on l’embaucherait dans l’au-delà (l’observation de ces hiéroglyphes d’une exquise délicatesse est une entrée en matière si fascinante qu’on en oublie un instant l’exposition, le Louvre, Paris, etc., et s’imagine pourvu d’un burin et gravant à son tour). De même, au tout début du XIIIe siècle, Maître Alpais, de Limoges, signe le ciboire en cuivre émaillé et doré dont il est l’auteur : MAGISTER G. ALPAIS. ME FECIT. LEMOVICARUM. À la Renaissance, l’autoportrait renchérit sur la signature dans des tableaux, comme La Tête de saint Jean Baptiste (1 507), déposée dans une coupe dont le pied ref lète le double visage inversé du peintre, Andrea Solario. 

Longtemps, le poète fut un exemple inatteignable, dans le sillage et à l’ombre duquel l’artiste languissait, la langue étant plus proche de Dieu que ne le sont les arts manuels, forcément prosaïques. Michel-Ange, dont on présente ici un portrait emblématique de 1522 (turban, traits tirés, durs et rongés par le monde intérieur qui l’habite), attribué à Baccio Bandinelli, se voyait d’abord comme un poète, aussi insatiable qu’un ogre, maîtrisant tous les arts. Trois siècles plus tard, Delacroix, dans le Portrait de l’artiste dit « au gilet vert » (1 837), se donna la morgue d’un grand « homme du monde », sans la moindre référence à l’art de peindre : il se concevait aussi comme écrivain, et son Journal fut un manuel de référence pendant un siècle.