coen

Dixit les Coen, Avé César serait la quatrième partie de leur « trilogie des idiots » avec George Clooney. Une série inégale constituée déjà de O’Brother, Intolérable Cruauté et Burn After Reading. Un quatrième film dans une trilogie ? Pourquoi pas ? Après tout, c’est une trilogie sur l’idiotie. Après tout, tant qu’il y a George Clooney, les films seront aisément finançables. On sait bien que Hollywood est capable de tout quand l’industrie tient un bon filon. La sortie ces dernières semaines d’un ultime dernier final définitif de Rocky (Creed, septième larron de la série) en est la preuve la plus absurde. 

Or d’absurde, il en est question dans Avé César. Plus loin encore que dans les autres comédies des Coen. Après s’en être payé une bonne tranche avec les comédies musicales, les comédies du remariage, et les comédies d’espionnage, Les Coen s’en prennent cette fois-ci aux comédies sur Hollywood. Les Coen poussent donc le bouchon plus loin que les parodies qu’ils parodient. Ils font du méta méta cinéma. Dans Hail César (on préfère le titre original), les Coen brocardent tout jusqu’au délire, jusqu’à saturation, épuisement. Regarder leur film nécessite une bonne condition physique. Le film est plus disjoncté que toutes les screwball comedy des années 30 citées dedans.

Pour tirer avec plus d’efficacité sur leurs cibles, les Coen regroupent tous les genres, tous les types de vedettes, de producteurs, de cinéastes, de figurants, d’agents des années 50 dans l’espace relativement restreint d’un studio de cinéma. Ainsi, ils peuvent mieux tout dégommer comme dans un jeu de quilles. D’où, la multiplicité de personnages, d’intrigues, de sous intrigues, de sous sous intrigues qui donnent à la fois le vertige et surtout l’impression trompeuse que les Coen n’ont pas très bien échafaudé leur architecture narrative. Le film part dans tous les sens mais les Coen savent très bien où ils vont.

Que l’on ne s’y trompe donc pas. A l’instar de Eddix Mannix (Josh Brolin), le fixeur le plus célèbre de Hollywood (cad l’homme à tout faire des studios) qui doit régler tous les problèmes en une journée pour faire tourner l’usine à dingueries. Mannix est donc chargé dans la même journée de rechercher Baird Whitlock (Clooney), une star bonne pâte des années 50, engagé dans un des innombrables péplums christiques de l’époque. Au cours du déjeuner, Whitlock a été kidnappé par des communistes pas très débrouillards. Mannix doit également trouver dans la journée un mari à une star de comédies musicales aquatiques (façon Le Bal des Sirènes de George Sydney). C’est Scarlett Johansson qui campe la fausse Esther Williams, fausse ingénue, fausse romantique, blasée des hommes. Il doit aussi régler un différent entre star et producteur sur une scène de comédie musicale. Et permettre à un rabbin, un pasteur, un curé et un imam de s’entendre sur l’interprétation du message du Christ !

Pondéré, professionnel, comme un héros américain au service aveugle de ses patrons, Mannix se déplace de plateaux en plateaux, assiste à mille numéros, et sauve tout le monde pour le bonheur de l’industrie. Dans l’usine à rêves façon Coen, le spectacle a dévoré la vie. Une star hollywoodienne s’embarque dans un sous marin soviétique avec son Chiwawa sous les bras. Whitlock discute aussi tranquillement avec ses ravisseurs que Houellebecq avec les siens dans L’enlèvement de Michel Houellebecq.

On reprochera aux Coen de fustiger méchamment tout azimut, de n’épargner personne, de se moquer de l’homme, de Clooney, des idéologies, des religions, du Christ, de Dieu. C’est faux. Entièrement faux. Les Coen se moquent des idéologies, de Dieu mais pas des artistes. Il est même une chose avec laquelle les deux frangins ne rigolent pas une seconde, c’est la magie Hollywoodienne. Ils inventent pour ce faire des séquences étonnantes en nous faisant voir tous les trucages, tous les jeux de transparence, tous les arrangements avec les doublures et les cascadeurs ; ce qu’il célèbrent en fait, c’est l’artisanat, le savoir faire, l’ingéniosité. Avé César truffe de plomb et de ridicule les puissants, les acteurs imbus d’eux mêmes. Mais c’est aussi une célébration magnifique des techniciens, des petits bras, des invisibles qu’on ne voit pas et qui rendent une séquence magique.

Les Coen se moquent donc de Hollywood mais par du talent, surtout quand il est dissimulé. Ce n’est pas le miracle du Christ qu’ils filment ici. Mais celui d’un petit spectacle de danse. Au milieu de leur joyeux jeu de massacres, ils mettent en scène un des morceaux de bravoure de leur carrière, sans doute la plus belle scène de comédie musicale vue depuis les années 50. Sur les tables d’un bar de studio, Chaning Tatum en marin, danse et claquette comme jadis Gene Kelly dans Un jour à New York. Mais le morceau ne serait pas inouï si la star, au premier plan, n’état pas entouré des autres danseurs, des autres artistes. Cette scène ne vaudrait rien sans les musiciens. En fait, pour les Coen, les idiots ce sont ceux qu’on voit. Les autres, ont du génie.