born1966 : à San Franciso, Chet Baker est tabassé par une bande de dealers. Mâchoire fracturée, dents cassés, sous méthadone, le trompettiste ne peut plus jouer et débute une longue traversée du désert au côté d’une dénommée Jane, laquelle n’a pas vraiment existé mais incarne une synthèse des nombreuses amoureuses qui ont connu le trompettiste. Les faits côtoient donc l’invention dans Born to Be Blue, car ce qui intéresse le réalisateur Robert Budreau, c’est avant tout la légende. En centrant son biopic sur la période d’absence à la scène de Baker – entre 1966 et 1973, date de son comeback au Birdland auquel étaient venus assister Miles Davis et Dizzy Gillepsie, le réalisateur joue à fond la carte de l’une des dernières légendes romantiques. Celle du petit héros blanc blessé de la fin des années 50, transfuge jazz des rebelles sans causes à la James Dean et Montgomery Clift, la légende de l’héroïnomane qui ne peut briller sans sa dope et sacrifie sa vie et ses amours à sa passion de jouer, légende du type fragile qui parvient quand même à revenir sur le devant de la scène, nanti d’une technique moins virtuose mais encore plus profonde et inspirée. L’histoire enfin d’un amoureux transi que les femmes durent parfois aider à se sevrer. Le film invente pour ce faire un beau couple de cinéma, adulte et doux, au diapason des chansons les plus romantiques de Baker. Pour faire revivre la légende toute entière, le cinéaste plonge dedans avec une coquetterie espiègle : recompositions de plans à la Edward Hopper (réinventés avec une minutie et une exactitude qui laisse pantois d’autant que le film a un petit air fauché), les cadrages iconiques sur Chet inspirés des fameuses photos de William Claxton, les clichés sur Chet marchant en tee shirt blanc, trompette ou pas à la main, sur la fameuse West Coast dont il devient l’icône malgré lui. Pour le plaisir, Budreau se permet de réinventer une session d’enregistrement en studio de My Funny Valentine. Au-delà de Chet, il y a aussi Ethan (Hawke) dont ce film est un saisissant portrait. Comme Chet Baker, Hawke disparut des radars après avoir été le jeune premier fragile et préféré de l’Amérique dans les années 90 (Explorers, Le Cercle des poètes disparus, Croc-blanc puis la trilogie Before de Richard Linklater). Impossible de regarder ce beau biopic jazz, qui évite sensiblerie et misérabilisme, sans s’interroger aussi sur le destin de son acteur principal. Lequel, à l’instar de son modèle, revient avec ce film sur le devant de la scène, de façon aussi ambitieuse que modeste. Comme le dit Chet : « l’important, c’est d’abord de jouer. » Hawke interprète Chet Baker comme celui-ci interprétait les plus grands standards : avec un jeu toujours au bord de la rupture et sans aucune pompe ni artifice. Maladroit mais cool, incertain et coquet, Born to Be Blue est mieux qu’un film sur Chet Baker, c’est un film qui lui ressemble.