Deux enfants s’amusent. Ils connaissent par coeur les Tex Avery, le cinéma américain classique, Franck Capra, Orson Welles, Howard Hawks… Ils ne veulent pas grandir, sont humanistes, idéalistes, ont un certain sens de la morale, et croient que La Petite Maison dans la prairie existe. Ils aiment rire de tout, de manière hystérique. Ils croient au couple qui s’aime pour toujours (Arizona Junior). Quand ils font du cinéma, ils ont une idée de mise en scène à la minute, aiment coiffer leurs acteurs n’importe comment (ça les fait rire), cherchent un maximum de blagues, verbales ou visuelles. Mais voilà, il y a un problème dans ces histoires de gamins : la réalité. On est chez soi, disait Joseph. L Mankiewicz, à élaborer des scénarios dans sa tête, et le téléphone sonne : la vie vient d’entrer dans votre appartement et risque de bousculer votre ordre des choses. Bref, ils se frottent comme tout le monde à cette réalité qui n’est pas en accord avec le monde tel qu’ils le conçoivent. Jamais accordé à leurs désirs. Ils le voient cynique, très cynique : la prairie est en fait un désert, (de sable dans No Country for Old Men, de neige dans Fargo) où des hommes se battent à mort, pour du fric. New York est une ville où des financiers d’une grosse boîte sont prêts à tout pour faire du fric (Le Grand Saut). Hollywood est un lieu où, comme tout le monde le sait, un Oscar, c’est sympathique, mais un film qui rapporte des millions de dollars, c’est plus que sympathique (Barton Fink). Oui, pour des enfants, elle est intolérable, cette cruauté.

Rêve entré en lutte avec le cynisme, monde de l’enfance face à celui des adultes, c’est là que le cinéma des frères Coen se situe, dans cette tension. Même si leur deux derniers films, Ladykillers et No Country for Old Men, contrarient cette appréciation, mettant plutôt en scène une sagesse branlante des anciens – incarnée dans l’un par la vieille dame noire, dans l’autre par le shérif Bell – mise à mal par le monde moderne, violent et mercantile.  

C’est l’histoire de ces frères que nous voulons raconter dans ce numéro hors série de Transfuge, sans le prisme de la biographie car il est impossible d’entrer dans leur vie privée (la rumeur veut –- lu dans Le Monde 2 récemment – que le biographe Ronald Bergen, qui tenta d’avoir une longue interview des frères, fut éconduit par un « nous avons remarqué que vous étiez l’auteur d’une biographie de Laurel et Hardy. Si vous souhaitez publier une nouvelle édition de cet ouvrage et remplacer les noms de Laurel et Hardy par ceux de Joel et Ethan, vous avez notre bénédiction »). Nous vous racontons donc leur histoire, mais à travers celle de leurs films.