listen upEcoute bien, Philip. » Tel est le conseil que le film donne à son personnage principal, Philip Lewis Friedman ( Jason Schwartzman). Écrivain à succès, le New-Yorkais ne prête en effet pas la moindre attention aux gens qui l’entourent, quand bien même tout ce que ces gens voudraient dire serait leur amour pour lui. C’est le cas d’Ashley Kane (Elisabeth Moss), la compagne que Philip délaisse brutalement et froidement. C’est le cas de ses éditeurs, qu’il plante pour la promotion de son livre sans beaucoup d’explications. Philip ne tient pas en place et ressemble à ces alpinistes menacés par le froid qui doivent sans arrêt bouger pour ne pas mourir gelés. Fuyant alors la ville, le trentenaire trouve retraite chez Ike Zimmerman (Jonathan Pryce), vieil écrivain tout disposé à jouer les mentors.

Alex Ross Perry filme ce personnage en se calant sur son rythme pressé et saccadé. La caméra, impatiente et portée, va de pair avec un montage très vif. Dès l’ouverture efficace du film, on est sur les talons de Philip, marchant dans Manhattan et fustigeant en pensée les piétons qui déambulent lentement et de façon désorganisée. De même, on le voit fulminer contre son ex-petite amie avec qui il a rendez-vous, et qui est en retard, ce qu’il ne saurait supporter. Le héros de cette fable, ainsi que la prise en charge du récit par un narrateur, s’inscrivent bien entendu dans une veine allénienne. Et Alex Ross Perry n’actualise finalement qu’assez peu les codes du film d’intellectuel new-yorkais. Jazz, whisky, humour acéré, l’attirail folklorique de Listen Up Philip est conforme au genre. Jason Schwartzman luimême semble empreint des différents rôles qui ont fait sa carrière. Du petit génie donneur de leçons de Rushmore de Wes Anderson à la série Bored to Death, qui le voyait déjà traîner son flegme nerveux dans les rues de New York, le comédien fait un Philip parfait.

Mais Listen Up Philip ne se contente pas de suivre le personnage à la trace. La construction du film travaille en effet sur l’absence de Philip, sur la façon dont il s’imprime dans un espace-temps qu’il a déserté, dans les âmes qu’il a abandonnées. C’est ainsi que de longues digressions montrent comment Ashley (la petite amie) ou Ike (le mentor) se comportent lorsque Philip n’est pas là, mais semble pourtant rester le destinataire de leurs actions. Le titre peut alors s’entendre d’une façon bien différente : « Soyez attentifs à Philip. » En effet, tout le film peut se voir comme un jeu de piste consistant à trouver ce qui appartient à Philip, ce qui le constitue même hors de lui, pour mieux le cerner. Qui est Philip ? Question ardue à laquelle le film affirme qu’on ne peut répondre. C’est bien toute la tristesse de ce personnage autocentré : ne laissant personne accéder à son noyau émotionnel, pas même lui, il se condamne à une obscure autarcie. Et les protections solides dont il s’est entouré petit à petit, croyant échapper aux chocs émotionnels, en font un homme de glace dont personne ne percera jamais le mystère.