nos frèresIls sont quatre jeunes gens ce soir de première sur la scène des Déchargeurs. Et c’est sans doute cette jeunesse qui frappe avant toute chose dans cette adaptation De nos frères blessés. Les visages lisses et sincères, si expressifs, l’énergie sans faille, les voix claires de François Copin, Clémentine Haro, Vincent Pouderoux, Thomas Resendes qui nous tiendront captifs de leur récit pendant plus d’une heure. lls se lancent dans ce spectacle, occupent la salle et la scène, s’adressent au public, sans faillir. Et réussissent à rendre à l’histoire du XXe siècle ses vingt ans. Cette jeunesse fait écho à celle de l’auteur du roman adapté sur la scène, Joseph Andras qui a surgit dans le paysage littéraire il y a moins de deux ans. On découvrait au printemps 2016, sa langue rugueuse, toujours juste et âpre, qui résonne avec force, lorsqu’elle est dite par les comédiens. Ce roman, radical, tranchant, récompensé par le Goncourt du premier roman, nous mène auprès de Fernand Iveton, lors des derniers jours de sa vie. Iveton ? Oui, on le connait mal, il n’est pas encore historicisé, mais il est un des héros, et martyrs, du communisme français de la deuxième moitié du XXe siècle. Son histoire est terrible et simple : en 1956, cet ouvrier, français d’Algérie, et communiste dépose une bombe dans une armoire vide de son usine. Il est dénoncé, la bombe n’explose pas, mais il est arrêté, torturé, condamné à mort, exécuté. Longtemps, il n’a pas été question de parler de ça en France. L’Algérie demeure un sujet brûlant. Le rôle des Français d’Algérie, leur rapport avec les Algériens, encore plus. Voilà pourquoi le roman d’Andras marque les esprits. Parce qu’il plonge et tranche, radicalement, dans les zones sombres et molles de l’amnésie collective. Nul doute à voir le spectacle qu’il y a une affaire Iveton. Une question Iveton, et celle-ci n’est sans doute pas réglée en 2018, sinon pourquoi une nouvelle génération voudrait-elle s’y plonger ? C’est en tous cas que croient ces quatre jeunes gens, et Fabrice Henry qui a mis le spectacle en scène. Peut-être est-ce aussi parce qu’Iveton avait à peine trente ans le jour de sa mort, que leur jeunesse offre un miroir si saisissant à sa destinée. La scénographie est à l’épure : quelques chaises posées ici et là. Un drapeau tendu, deux ou trois fois, où sont projetés des images d’archives. Le choix est de ne pas incarner. Les quatre comédiens se partagent le texte, qu’ils disent à tour de rôle sans assumer de personnages. Si ce n’est Clémentine Haro qui prend à sa charge les parties d’Hélène, la superbe femme d’Iveton, au centre de pages lumineuses du roman.

Le texte est dit, sans être changé, les coupes sont annoncées, expliquées. Le mouvement des comédiens se fait envers le public, qu’ils prennent à parti plusieurs fois au cours du spectacle, jusqu’à la scène de fin qui voit une dizaine de personnes monter sur scène.  Choix intéressant du metteur en scène, qui nous place au centre du questionnement de la pièce : comment sauver Iveton ? Et plus profond encore, où est la dignité ? Chez Iveton ? Chez Hélène, sa femme ? Où est la dignité dans cette France qui s’embourbe en 1956 dans le conflit algérien ? La dignité, nous murmure Andras, et ses interprètes, est dans la possibilité de la fraternité. Celle qu’Iveton a eu pour les Algériens. Celle que ces jeunes comédiens incarnent sur scène.