ghost storyÇa commence fort. Trop fort peut être pour pouvoir être à la hauteur tout du long. Un couple s’aime, lui (Casey Affleck) meurt dans un accident de voiture. À la morgue, alors qu’elle (Rooney Mara) s’éloigne après lui avoir adressé le dernier adieu, il se relève sous son linceul. C’est un fantôme désormais. Littéralement : celui des contes, celui auquel jouent les enfants en s’affublant seulement d’un long drap, percé de deux trous noirs sans fond. C’est tout et ça suffit à nous sidérer. Comme pour une installation vidéo, le film joue et travaille cette anomalie qui tire son étrangeté de son ingénuité, de la simplicité même de son dispositif : Casey Affleck est à la fois devant nous et loin de nous. Il est là dans le plan mais sans qu’on l’aperçoive. Est-ce lui qui est sous le drap ou une doublure ? Cette interrogation vaut mieux que mille effets spéciaux tant elle interroge vraiment la croyance du spectateur en ce qu’il est en train de regarder. Autre idée forte : le fantôme se pose dans de très longs plans que d’aucun accuseront d’être complaisants ou arty : c’est pourtant la plus belle idée du film. Ce fantôme enfantin fait tache dans le plan et apporte donc une distance bienvenue au récit de deuil attendu. Se substituant au spectateur, en silence, sans bouger (comme dans La Mort de Louis XIV, on devient attentif au moindre mouvement qui fait évènement), le fantôme droit comme un piquet observe dans la maison conjugale sa femme pleurer, manger, se faire vomir, pleurer encore son mari mort. Cette première partie laisse présager le meilleur : durée des plans, incongruité de la corporalité très physique de ce corps absent, dont l’absence d’émotions inquiète et terrifie à la fois. Le réalisateur tenait de quoi faire un grand film de fantôme, un vrai film d’angoisse sur la présence des morts parmi nous. Mais comme déjà dans Les Amants du Texas, il ne peut s’empêcher de vouloir donner à la fois du sens et de la poésie à son ouvrage. S’ensuit dès lors un long délire spatio-temporel, à coups de « loop-time » (de boucles spatio-temporelles), bercé de violons et de pop guimauve, où en forme d’anneau de Moebius, le passé, le présent et le futur convergent en un instant qui offrirait enfin la libération au fantôme. Ce qui agace ici est une forme de gâchis tant le film sous couvert de réinventer le film de fantômes charrie toujours la sempiternelle même histoire d’amour, de rédemption, de deuil et de survivance. Le tout dans une esthétique écrasée par l’ombre tutélaire de l’ultra-plagié Terrence Malick (alternance de plans en musique, déroulement non linéaire du temps et des souvenirs). D’autant que le film, malgré ses twists à répétition, enchaîne les instants convenus où l’on découvrira (ô surprise) que la vie à deux était plus compliquée que ce nous donnaient à penser les premières scènes d’étreintes sensuelles. Difficile de se faire un avis sur David Lowery qui, film après film, mêle à des idées graphiques saisissantes des platitudes et des conventions qui se donnent des airs de nouveautés.