transitTransit, le roman de la grande Anna Seghers, titille les cinéastes. Après René Allio en 1991, c’est Christian Petzold qui se l’approprie. Et y appose sa patte, reconnaissable entre toutes. Sécheresse du découpage : le film va droit à l’essentiel. Installation patiente, minutieuse des scènes : chaque personnage gagne graduellement en épaisseur. Petzold fonctionne à l’économie, refuse les enjolivures, colle au plus près du quotidien le plus terre-à-terre. Corollaire : Transit n’est pas un film immédiatement aimable. Il faut un peu de temps pour s’attacher vraiment à Georg (Franz Rogowski, sosie imparfait de Joaquin Phoenix), ce jeune Allemand échoué dans une Marseille occupée. Une Occupation qui relève de l’histoire – voire de l’actualité – parallèle : on n’est pas au mitan du XXe siècle, mais bel et bien à notre époque. Mais ce sont les mêmes démons. Délation, répression policière, traque des illégaux, des réfugiés. Toute ressemblance n’est évidemment pas fortuite, mais Transit n’est pas, ou seulement secondairement, une parabole sur les migrants et les démangeaisons policières de certains Etats… C’est reparti comme en 40, donc, l’Europe est, de nouveau, sous la coupe d’un régime fasciste. Et, de nouveau, Marseille, le port, est une porte. Vers la liberté, vers l’Amérique. Mais d’abord, c’est le temps de l’attente, des dédales administratifs pour obtenir les visas. Georg, qui fuit les fascistes, a endossé l’identité d’un écrivain mort, Weidel. Le climat n’est pas sans évoquer la magnifique adaptation de La Douleur de Duras par Emmanuel Finkiel, défendue dans ces pages en janvier. 

L’inquiétude permanente, la terreur sourde, suscitées par la surveillance policière omniprésente, sont le lot quotidien de ces vies clandestines. Et tout se passe comme si cette existence dans les limbes, toujours menacée, faisait battre les coeurs plus vite. Entraînait l’éclosion des sentiments amoureux. Georg tombe ainsi sous le charme d’une ravissante jeune femme, qui surgit soudain, puis s’éclipse, dans un jeu d’apparitions intermittentes. Georg apprendra que cette femme, Marie (Paula Beer), n’est autre que la compagne de l’homme dont il a pris le nom et les papiers – la femme de l’écrivain défunt, Weidel. Il gagne la confiance de la jeune femme via l’amant de cette dernière, le docteur Richard (Godehard Giese). Marie finit bien sûr par s’attacher à lui. Jeu trouble entre vérité et mensonge, menace toujours possible d’une irruption du mari : l’histoire, banale, du triangle amoureux, est le reflet de cette atmosphère d’occupation 2.0 qui pèse sur Marseille. C’est justement toute la force du film : montrer que l’Histoire, la grande, est un tissu d’histoires, de récits à échelle humaine. 

Car le parcours de Georg est émaillé de rencontres : une mère et son fils, auprès desquels il jouera le rôle de mari et père de substitution, une femme qui finira par se suicider, Richard lui-même dont il devient le confident. Tout compte fait, Georg n’a pas usurpé l’identité de Weidel. Il est bel et bien écrivain – témoin d’autres vies que la sienne.