traoréDans un pays d’Afrique indéterminé, une jeune avocate défend un rebelle accusé de crimes de guerre sauvages. L’affaire fait émerger des vérités dérangeantes sur le pouvoir en place ainsi que sur les enfants-soldats. Entretien avec Sékou Traoré, réalisateur de ce long-métrage efficace, loin de tout manichéisme.

Ilan Malka : L’univers carcéral africain, que vous montrez ici, est très peu représenté au cinéma. Qu’est-ce qui explique cela ?

Sékou Traoré : Les investisseurs pensent que c’est un sujet qui rebute, qu’il vaut mieux offrir du divertissement, que la vie en Afrique est déjà suffisamment difficile. Nous avons mis près de sept ans à monter le film. Au départ personne n’y croyait. Petit à petit, nous avons réussi à convaincre l’Union Européenne, puis la Francophonie et l’Etat burkinabé de nous financer. Mais au départ tout le monde doutait, à tort, qu’un tel film puisse trouver son public.

I.M. : On peut penser, devant votre film, à Sidney Lumet ou Costa-Gavras. Sont-ils des sources d’inspiration ?

S.T. : Nous n’avons rien revu car nous avions une vision précise de ce que nous voulions. Nous n’avons même pas tenu compte de corrections de scénario de scripts doctors que nous avions pourtant rémunérés ! Certains scénaristes français nous ont conseillé de transformer le film en huis clos. Mais il n’en était pas question. Il fallait voir la ville, les habitants réunis autour du poste de télévision pour commenter le procès, sinon ce n’était plus l’Afrique !

I.M. : Il s’agit de votre premier long métrage de fiction, mais vous avez une longue expérience dans le documentaire. Qu’a-t-elle apporté à votre mise en scène ?

S.T. : Réaliser un documentaire implique de filmer des gens qui ne sont pas des acteurs, et de leur faire jouer leur vie quotidienne. Dans L’OEil du cyclone, il y a peu de comédiens professionnels, car le Burkina Faso en compte un petit nombre. Beaucoup ont été choisis parce que leur rôle correspond à ce qu’ils sont dans leur vie. Mon expérience dans le documentaire m’a aidé à les diriger.

I.M. : Le montage du film est percutant. Comment l’avez-vous travaillé ?

S.T. : C’était un vrai combat ! Luis Marques, auteur de la pièce, qui était aussi directeur artistique du film, avait une vision très littéraire. La mienne était très cinématographique. Lui voulait que l’on précise le plus de choses possibles au risque d’être redondant, je voulais aller à l’essentiel. Ce combat était positif, parfois tendu, mais la monteuse était souvent de mon côté ! Quand il partait aux toilettes, j’en profitais pour faire des coupes !

I.M. : Le cinéma burkinabé est prolifique, on parle de Ouagawood à l’instar de Bollywood… Où en est-il de son histoire ?

S.T. : Il a été dans une longue descente aux enfers ces dernières années. Il se limitait à Ouagawood, il n’y avait plus de films ambitieux à grand budget. Le dernier long-métrage à avoir eu un gros retentissement est Buud Yam, de Gaston Kaboré, sélectionné à Cannes il y a 20 ans. Le succès de notre film va peut-être convaincre l’Etat d’investir davantage dans le cinéma. Les films Ouagawood se voient surtout en Afrique de l’Ouest. Un film avec des moyens conséquents peut faire le tour du monde.