foretLa forêt du titre est celle dans laquelle Paul, le personnage principal, aime errer pour se ressourcer. C’est aussi celle de ses sentiments touffus et ardents, dans lesquels il se perd tout au long du film. Il ne se remet pas de sa rupture avec Ondine, qu’il a follement aimée. Il décide de se venger de la gent féminine, en séduisant une fille au hasard pour ensuite l’abandonner. Sa victime se nomme Camille. Il ignore que ce plan peut se retourner contre lui. Sa cible a effectivement le pouvoir de le rendre fou d’elle à travers un sortilège. Il est possible que les forts partis pris de ce film divisent ses spectateurs. Tout le monde devra cependant s’accorder à reconnaître à Grégoire Leprince- Ringuet au moins une qualité : l’audace. En écrivant et tournant ce premier long, il n’a cédé à aucune mode et aucune facilité. Il s’est tout autorisé. Il s’est permis d’écrire certaines séquences en alexandrins, et d’autres en prose. Il s’est permis de jongler avec les genres, notamment le drame et le fantastique, en restant à la frontière de chacun d’eux, pour interroger l’aspect irrationnel des sensations. Pourquoi rencontre-t-on cette personne à ce moment de sa vie et pas une autre ? Quel mécanisme fait que l’on s’attache à elle jusqu’à ne plus pouvoir penser à autre chose ? L’histoire touche également au roman d’apprentissage. Au départ esclave de ses sentiments, Paul essaie petit à petit d’apprendre à les maîtriser, pour finir par accepter la solitude.

Sur le papier, le pari est particulièrement osé et prend le risque de tomber dans du cinéma verbeux. Grégoire Leprince-Ringuet a l’intelligence d’aller au contraire dans le sens de la pure mise en scène. Au travers de cadres angoissants ou romantiques, ensorcelants ou oniriques, il capte l’âme des personnages et des lieux. Ici, Paris est cauchemardesque, ses rues sont menaçantes, ses bars oppressants. Une rame de métro, une piscine, une chambre à coucher deviennent des lieux où l’on peut jeter des mauvais sorts, où l’on peut envoûter l’autre. Lorsque les personnages parlent en vers, ils paraissent possédés par la poésie. Cette menace irrationnelle disparaît dans des lieux pourtant davantage propices au conte et à la magie ordinairement, comme une forêt ou un lac. Au-delà de ces choix originaux qui donnent une touche personnelle à cette oeuvre, le cinéaste a appris de belles leçons des maîtres avec qui il a tourné en tant que comédien. De Patrice Chéreau, il a puisé l’art de diriger les acteurs dans l’excès, de les pousser jusqu’au point limite en sachant jusqu’où aller trop loin. D’André Téchiné, il a retenu la manière de donner au drame le rythme d’un marathon d’émotions, de conférer à des histoires d’amour une intensité de thriller. De Christophe Honoré enfin, il a pris une sensibilité onirique dans l’art d’aborder le quotidien. Comme tous les films risqués, La Forêt de Quinconces marche sur un fil ténu. À l’instar de son personnage, il se cherche, essaie, rate parfois. Durant les premières scènes, il tâtonne, notamment en matière de direction d’acteurs. C’est en continuant d’avancer envers et contre tout, même en trébuchant, que le film donne l’impression presque en temps réel de trouver sa voie singulière et de la tracer. Les réserves que l’on pouvait avoir au départ s’envolent vite, et apparaissent comme de nécessaires phases d’évolution d’un vrai auteur en devenir, que l’on voit éclore au fur et à mesure d’un film dont l’âme nous hante.