Vous vous dites, oh un énième dossier sur New York, que vais-je encore apprendre que je ne sache déjà ? Les magazines qui proposent des couvertures sur New York sont légions, et les livres à son propos aussi. Alors que dire de plus ? Notre réponse est simple : il y a beaucoup, beaucoup à dire encore. Une solution (toujours la même dans ces pages) s’est offerte à nous : nous replonger dans les textes. Les textes, toujours les textes. Ces mêmes qui les années passant, nous sortent de la tête, et dont nous finissons par faire des caricatures. Fitzgerald et les riches de Manhattan ; Kerouac, l’écriture jazzy et la déglingue avec les copains Ginsberg et Burroughs ; la ville debout de Céline ; le montage de Dos Passos dans Manhattan Transfer ; Hubert Selby junior drogué et sa dernière sortie de Brooklyn…

Va paraître dans le mois à venir un recueil de nouvelles d’écrivains français contemporains sur New York, (dont je suis l’instigateur). Par esprit d’escalier, je me suis dit que ce serait l’occasion pour Transfuge de revenir sur elle, cette ville dès son origine ville d’affaires, devenue peu à peu, aussi, cette ville de la finance ; et qui paradoxalement est si liée à la littérature. Cette ville dont Benjamin de Casseres dit avec justesse qu’elle est, par ces gratteciel, « la beauté tombée dans l’enfer du pratique ».

Évitant l’approche biographique, nous nous sommes penchés ou repenchés scrupuleusement sur ces romans ou ces textes qui ont trait à la ville. La plupart des romans que nous avons sélectionnés font entrer la ville dans une partie du texte, plus ou moins longue. La question que nous nous sommes alors systématiquement posée, à partir de ces passages prélevés, est double : Que nous dit l’auteur sur New York ? Et que nous dit cette vision de New York sur l’oeuvre du romancier ?

Notre instinct, avant que ce dossier ne s’élabore, nous a portés sur les avant-gardes du xxe siècle. Le Harlem Renaissance des années 1920 (Langston Hughes, Jean Toomer…), les modernistes ( John Dos Passos, Nathanael West) Les Beats (Kerouac, Burroughs), des écrivains du Nouveau roman (Alain Robbe-Grillet, Claude Simon) les postmodernistes (Robert Coover, Thomas Pynchon, William Gaddis, Don DeLillo, László Krasznahorkai, Rick Moody). Un portrait de New York a fini par se dessiner, mouvant. Kaléidoscope, comme vous le lirez dans le dossier, donnant des visions neuves ou renouvelées de la ville ; les hallucinations des uns et des autres, métamorphosant, de fait, la cité en mille potentialités. Tous, à leur façon, avec leur technique et leur dispositif, ont su saisir sa singularité, ont su montrer cette « divinisation de la matière, de l’énergie, du mouvement, du changement » (encore et toujours Benjamin de Casseres) qui lui est propre.

Avouons que dans notre élan, nous n’avons pas pu nous empêcher de traiter de quelques romans newyorkais n’appartenant pas aux avant- gardes mais nous tenant à coeur : La Traversée de l’été de Truman Capote, des nouvelles de Fitzgerald et des poèmes de Dorothy Parker, Ombres sur l’Hudson de Isaac Bashevis Singer, et le Last Exit to Brooklyn d’Hubert Selby Jr. Il y a bien d’autres romans liés à New York, bien sûr, que nous n’avons pas traités. Chateaubriand y passe dans son Voyage en Amérique, Paul Morand en a fait un de ses plus beaux livres, New York, Blaise Cendrars a écrit un poème qui lui est entièrement dédié, Les Pâques à New York. Edith Wharton, bien sûr, sur l’aristocratie new-yorkaise début de siècle, Henry James et son Washington Square, Jay McInerney et son Bright Light Big City… Sans oublier tous les romans américains de seconde zone (quoique souvent plaisant à lire), de Damon Runyon (Broadway mon village ; Le Complexe de Broadway), d’Alfred Kazin (Retour à Brooklyn), etc. Que ces absents nous pardonnent, mais nous avons choisi une ligne précise : celle du vertige des avant-gardes.

Pourquoi New York intéresse-t-elle tant les écrivains ? J’ai au moins une réponse. Comme l’explique Rem Koolhaas dans son formidable essai, New York délire, la ville est née du fantasme de quelques hommes d’assujettir totalement la nature. De montrer la supériorité de l’esprit humain sur le réel. De démontrer, par l’expérience de Coney Island, puis par la construction des gratte-ciel, le pouvoir, par la technique, de transformer une île en une vaste création architecturale.

Le travail de ces architectes, utopistes et pragmatiques, vous l’aurez compris, ressemble étrangement au travail des écrivains.