Voilà Nietzsche qui pointe son nez. Alerte, il observe ce qui se passe sur les réseaux sociaux. On parle beaucoup de morts, beaucoup de décès. Pas étonné, le goût du morbide des hommes, il sait, il a écrit dessus, rien de neuf sous le soleil noir de la mélancolie. Là où il est très fier, c’est qu’il avait eu l’intuition que les hommes geignaient en permanence, jérémiades à tous les étages, plainte, plainte, plainte. Les animaux, les femmes, les politiciens, les stars… La liste est infinie, et change selon le sens du vent. Diable, grâce à ses réseaux sociaux, il avait la preuve par un million de sa géniale intuition. Il est cependant un peu étonné que les Français soient devenus si lourds, lui qui vantait auprès des Allemands, décidément trop wagnériens à son goût, la légèreté française, son esprit, sa sensibilité, son humour. Voltaire, un de ses grands maîtres : enterré. Lui qui pensait avoir fait école, prétentieux qu’il était, ne voit trace de nietzschéens, à quelques réserves près. Il repense à une de ses phrases qui le mettait de si bonne humeur : « nous autres, oiseaux nés libres ! Où que nous allions, tout devient libre et ensoleillé autour de nous. » Où sont passés ces oiseaux libres ? Si vous en croisez un, ne le quittez plus, c’est une espèce en voie de disparition. Mais il se rassure, se dit qu’il n’est pas le seul des grands penseurs à être en échec : Montaigne, son grand ami avec qu’il partageait cette joie sceptique, n’avait-il pas conseillé aux hommes de converser sans passion, en ayant toujours conscience que son propre point de vue est friable ? Sur les réseaux sociaux, personne ou presque n’a lu Montaigne, c’est évident. Et son autre ami Epicure, installé confortablement dans son Jardin, à disserter sur le monde, loin des affaires de la cité, loin des pensées collectives, qui l’écoute aujourd’hui, alors que les hommes semblent répandre leur vie privée sans aucun scrupule et s’engager sur tel ou tel sujet comme on va pisser un coup ?

On imagine alors Nietzsche aller au kiosque à journaux acheter son Transfuge, dont il a entendu parler en bien. On lui a dit qu’il pourrait retrouver l’air qu’il affectionne, l’air mordant, l’air des hauteurs.

Il est heureux de découvrir que l’art, la beauté continuent à intéresser les hommes. Cette Américaine Louise Erdrich n’a l’air pas mal du tout. En tout cas Transfuge la considère comme une des très grands écrivains contemporains. Titre du roman : LaRose. Cette écrivain d’origine allemande, et amérindienne, intéressant. Et cette histoire de tragédie qui n’en est pas une, et qui finit en une histoire d’arrangement. Là où les hommes ne voient qu’idéaux, Erdrich ne semble voir que de l’humain, du trop humain. L’art du roman. Et ce Paul Thomas Anderson qui revient avec Phantom Thread, sur un homme prêt à tout sacrifier pour son art, comment puis-je ne pas y être sensible ? Dévoré par son art, jusqu’à en devenir fou. Ah et ce Rameau mis en scène par une punk, à l’Opéra- Comique : Et in Arcadia ego. La belle humeur du XVIIIe mêlée à cet art brut, ça promet ! L’art dionysiaque par excellence. L’art contre les passions tristes et lourdes des réseaux sociaux.