A cette rentrée littéraire, deux jeunes écrivains, Francois-Henri Désérable et Clément Benech sont invités à l’émission Quotidien, animé par Barthès Yann, à ne pas confondre avec Barthes Roland. Le premier a écrit un livre autour du très populaire Romain Gary, Un certain M.Piekelny, l’autre s’est fait connaître pour être le roi de la vanne sur Twitter. Les deux écrivains, moins de 30 ans, sont présentés comme la nouvelle garde française, à ne pas confondre avec l’avant-garde française, morte aux alentours de 1975 selon d’éminents spécialistes. Les deux écrivains se renvoient la balle, se renvoient la vanne, le show est bien rodé. Et, cerise sur le gâteau, ils sont beaux, parfait pour la télé. Ils ont deux minutes pour vendre leur soupe, ils le savent, deux mots magiques doivent suffire pour que ça marche : Désérable ce sera « Gary », Benech ce sera « virtuel ». Posons la question frontalement : Ont-ils écrit leur livre dans l’espoir d’être facilement invités à la télé ? Et in fine, optimiser les ventes de leurs livres, ou dit comme Bourdieu, gagner en terme de pouvoir financier ? Encore plus frontalement : ont-ils écrit leur livre pour faire du fric ? Je vous laisse deviner.

C’est à cette analyse que s’attelle Vincent Kaufmann, spécialiste de Debord, dans son livre rigoureux et intuitif, Dernières nouvelles du spectacle, ce que les médias font à la littérature, (Seuil). Sans idées déclinistes, il décrit ce que sont devenus les auteurs à l’ère de la médiasphère. Une description qui part de la mort de l’auteur conceptualisée par Barthes et Foucault, à sa résurrection à partir d’Apostrophes (1975), quasiment concomitante à la naissance de l’autofiction (1977). C’est ce que Désérable et mille autres ont bien compris, dans le spectaculaire intégré, selon l’expression de Debord où « Tout serait désormais soumis et conforme aux exigences du capitalisme » : il est plus aisé de vendre du biographique ou de l’autobiographique, que des techniques narratives ! Sollers ouvrit la voix avec Femmes (1983) puis Duras avec L’Amant (1984). Le champ littéraire, pour Kaufmann, a perdu son autonomie, à l’exception de quelques résistances. A partir des années 80, qui correspondent, comme l’a perçu dans La Décennie François Cusset, au triomphe du libéralisme, le capital symbolique (reconnaissance par ses pairs) s’est vu réduire à presque néant, à l’avantage du capital financier. Se souvient-on de ce temps où des écrivains méprisaient le succès ? Ce temps où des écrivains souhaitaient se rendre illisibles pour en aucun cas ne être récupérés par la société bourgeoise. Le monde a changé, le monde des lettres aussi. Indéniablement.

Kaufmann rappelle par ailleurs un fait intéressant : Jusqu’à Apostrophes, la télé se déplaçait chez les écrivains pour les interviewer. On allait recueillir une parole singulière, rare, littéraire, hors spectacle, non contaminé par lui. L’écrivain, en France, jouissait d’un statut à part, une sorte de sacralisation. Depuis, c’est le contraire, ils sont invités à participer à telle ou telle émission. Kaufmann en tire les conséquences : la spectacularisation de l’auteur s’accompagne d’une désacralisation, d’une banalisation. On invite un écrivain à côté d’un sportif, d’un cuisinier, d’un chanteur… Il est invité au même titre que les autres. Dans le même sens, Kaufmann observe que des écrivains sont invités, depuis quelques années, en dehors de la promotion de leurs livres. L’objet livre a même disparu du spectacle, l’écrivain ou l’écrivaine suffisent. On peut même continuer dans cette logique spectaculaire, en constatant que Yann Moix et Christine Angot, chroniqueurs au centre de l’émission On n’est pas couché, sont des écrivains intégrés à ce spectaculaire intégré, qui sont passés de l’autre côté de la barrière, du côté de la production du spectacle. Il n’y a là plus une once de résistance, mais plutôt une collaboration assumée, à la marchandisation du champ littéraire. La perte d’aura selon l’expression de Benjamin, est ici poussée à son extrême.

Si les formes du spectacle ont changé avec les réseaux sociaux, on demeure dans la même économie de l’attention, une économie où l’auteur ne désire rien de plus que quelques minutes d’attention. L’autorité du public a là aussi, dans le numérique, remplacé l’autorité reconnue par les pairs. A l’ère du spectaculaire numérique, Le nombre de like a plus de valeur pour un écrivain qu’une reconnaissance de Peter Handke.

Une chose est sûre à lire cet essai : si vous êtes un jeune écrivain, retirez-vous du spectacle, ne comparaissez pas devant les médias, ne vous sacrifiez pas à eux, vous y avez tout à perdre. La notoriété n’est pas gage d’autorité, au contraire. Sollers s’y est brûlé les ailes dans les années 80, et à sa suite beaucoup d’autres. Faites-vous désirer, restez discret et imposez vos propres sujets, qui ne sont surtout pas ceux des médias. Regardez Patrick Modiano, Pascal Quignard, Peter Handke… Vivez cachés, vivez écrivains.