eastwoodEn ce début de soirée du 24 juillet, Clint Eastwood vient d’arriver au Centennial Olympic Park, en plein coeur de downtown Atlanta. À l’endroit exact où, il y a vingt-trois ans, dans la nuit du 27 juillet 1996 pendant les Jeux Olympiques d’été, une bombe explosait, faisant deux morts et cent onze blessés.

Le pire avait été évité de justesse, grâce à la présence d’esprit de l’un des chargés de la sécurité qui, ayant remarqué la présence d’un sac à dos abandonné sous un ban du parc, avait eu le temps de donner l’alerte et de faire évacuer le public quelques minutes avant la détonation. Cet homme, c’était Richard Jewell, trente-trois ans, instantanément sacré héros pour avoir sauvé des centaines de vies. Mais trois jours plus tard, un article signé Kathy Scruggs à la une du Atlanta Journal-Constitution laisse entendre que le F.B.I le soupçonne d’avoir posé lui-même l’engin explosif. C’est l’hallali, le début d’un acharnement médiatique qui va durer trois mois au bout desquels Jewell sera officiellement reconnu innocent. Quant au vrai coupable, Eric Rudolph, il sera arrêté en 2003 et condamné à la prison à vie.

Une tragédie américaine

Il est presque 21 heures et en chemise gris-vert à motif chevron, pantalon de toile chino noire et sneakers assortis, Clint Eastwood est en train d’observer les cinq cents figurants qui prennent place sur une partie de la pelouse, faisant face à une scène surélevée où aura lieu un concert. Un assistant leur indique comment ils devront bouger et se comporter quand les caméras tourneront.

« C’est une tragédie américaine, explique Eastwood pensivement. Celle d’un type innocent se faisant complètement entuber, injustement persécuté par les médias et le F.B.I qui étant allés un peu vite en besogne, n’ont pas pris soin de tout revérifier avant de tirer des conclusions trop hâtives. Pour eux, il était le coupable idéal et peu importe le manque de preuve et la présomption d’innocence. ». Eastwood avoue avoir été intrigué par la personnalité de Richard Jewell, disparu en 2007 à l’âge de quarante-quatre ans. « C’était quelqu’un qui aimait venir en aide aux autres, qui était fasciné par les forces de l’ordre et qui rêvait juste d’être policier. Mais pour toutes sortes de raisons, ça n’avait pas été possible à l’époque et il avait dû se contenter de ce job consistant à assurer la sécurité, ce qui était malgré tout pour lui une frustration, même s’il pouvait porter un badge. Jewell posséde un côté naïvement idéaliste touchant. ».

Un peu à l’écart, tandis que l’équipe prépare le plan suivant, Eastwood est en discussion avec Paul Walter Hauser qui incarne Richard Jewell. Physique replet, fine moustache, la ressemblance est saisissante. Il porte un polo blanc avec les mots security guard estampillés en lettres noires dans le dos. Un pantalon beige et une banane aux couleurs du drapeau américain attachée à la ceinture. Pendant une pause, Paul Walter Hauser avoue sa stupéfaction d’avoir été choisi. « Je terminais un film Netflix avec Spike Lee en Thaïlande, quand j’ai reçu un appel de mon agent m’informant que Clint Eastwood voulait me voir. Je n’en revenais pas. Et trois semaines plus tard en mai j’étais dans son bureau à la Warner ! J’ai eu le rôle sans auditionner. Il y a encore tellement de préjugés envers Richard et je n’ai jamais voulu en faire un stéréotype du type du Sud bas du front, lourdaud et pas très futé, comme il a été souvent décrit par les médias à l’époque, mais juste comme un homme normal en étant le plus réaliste possible pour honorer sa mémoire. ». Pour incarner l’avocat Watson Bryant, électron libre à la personnalité abrasive, Eastwood a choisi Sam Rockwell, oscarisé pour son électrisante prestation dans 3 Billboards, Les panneaux de la vengeance et qu’il avait remarqué aussi dans une mini-série récente où il incarne Bob Fosse. On s’est entretenu la veille avec l’acteur. Comme Hauser, il n’a pas eu à auditionner pour le rôle. « J’ai rencontré Clint pour la première ici à son hôtel quatre jours seulement avant le début du tournage, raconte-t-il. On a discuté un peu et c’est tout. Je lui ai simplement demandé s’il voulait une simple imitation et il m’a conseillé de suivre mon instinct. Le premier jour devant la caméra, il m’a dit de ne pas me soucier de respecter mon texte mot pour mot. J’avais pu rencontrer Watson et je lui avais fait enregistrer tous mes dialogues afin de me familiariser avec le son de sa voix et sa cadence. Ce qu’il a fait pour Richard est admirable. Il était cet outsider, un peu comme David contre Goliath et il m’a fait penser à Spencer Tracy dans Procès de singe de Stanley Kramer, ou Henry Fonda dans L’Étrange incident de William Wellman ou encore à Tom Cruise dans Des hommes d’honneur. ». Rockwell raconte au débotté avoir auditionné pour le rôle du petit garçon de William Munny dans Impitoyable mais n’a pas encore osé le dire à Eastwood !

Des fake news avant l’heure ? 

Mais au-delà du cas Richard Jewell en question ici, le film se veut-il une condamnation sans appel des méthodes irresponsables du F.B.I. et des médias à sensations, une mise en garde en regard de ce qui se passe aujourd’hui avec Donald Trump dans ses attaques répétées envers ces deux boucs émissaires favoris ? Eastwood se défend d’avoir voulu faire un film politique. « À l’époque, dans leur course effrénée au scoop à trouver un suspect à tout prix, ils ont dépassé les bornes, parce que cela les arrangeait, et ils se sont trouvés pris dans un engrenage qui les a tous dépassés. Et c’est à mon avis l’un des premiers exemples d’un genre de comportement qui semble s’être généralisé par la suite et qu’on peut constater de plus en plus de nos jours où on a souvent tendance à des excès amenant à des jugements bien trop hâtifs. J’ai grandi en idolâtrant le F.B.I qui pour moi était une organisation où oeuvraient les employés les plus purs et intègres au monde. Et puis on a vu les dérapages récents, la dégradation du fonctionnement de multiples institutions du système politique, les fuites orchestrées dans la presse, et ça c’est effrayant. Car si ça devenait la norme, alors on risquerait de contaminer toute une société. ».

Profitons-en justement pour lui demander ce qu’il pense de la présidence Donald Trump, qui ne semble plus avoir sa faveur inconditionnelle. « Mon observation à chaud ? C’est le Bon, la Brute et le Truand ! (rires). Chaque jour qui passe apporte une nouvelle surprise. C’est intéressant. C’est probablement le job le plus dur qu’on puisse exercer. Qu’il s’agisse de George W. Bush ou d’Obama, chacun d’eux a fait des choses bien et commis aussi des erreurs. On est sidéré de constater jusqu’à quel point certains hommes politiques ont pu parfois être aussi stupides. Je n’ai pas de philosophie particulière dans ce domaine. Politiquement, je me considère à part. Je n’appartiens à aucune chapelle. Tout ce que je sais, c’est que je reconnais un imbécile quand j’en vois un. Et aujourd’hui, ce n’est pas ce qui manque ! ».

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De Clint Eastwood, avec Paul Walter Hauser, Sam Rockwell, Kathy Bates…Warner Bros. France, sortie le 19 février.