valmontC‘est un des duels les plus célèbres de l’histoire du cinéma : Les Liaisons dangereuses du britannique Stephen Frears contre Valmont du tchèque Milos Forman, alors auréolé du succès d’Amadeus. On est en 1989, un seul peut l’emporter dans les consciences. La postérité a retenu la grâce et la fi délité à Laclos du film anglais avec John Malkovich et Michelle Pfeiffer. On s’est trompé : il faut revoir le fi lm de Forman. Y redécouvrir ce qu’on aime tant dans son cinéma, à commencer par sa vitalité, joyeuse, solaire. Peu de fi lms d’époque peuvent se targuer d’une telle énergie, incessante. Le désir est partout, dans chaque plan, dans chaque visage. Forman ouvre un plan en musique, le ferme en fanfare. Des musiciens sont disséminés dans tous les recoins de Paris, des palais, des maisons de campagne. Dans les pièces des châteaux, la cour s’active, joue, chuchote de terribles messes basses. Dans les marchés bondés, on croise des bonimenteurs, des joueurs de fi fres, des arracheurs de dents, des dompteurs d’ours. Ça vibre, ça piaille, ça s’amuse. Dans les palais, s’affairent des maîtres de chambre espiègles, des valets de pied bonhommes, des moucheurs de chandelles zélés. Avec Forman, jamais le XVIIIe siècle n’a semblé ainsi vivre comme s’il n’avait pas été reconstitué. Jamais adaptation littéraire luxueuse d’un grand classique n’avait été aussi drôle : les personnages sourient sans cesse, rient à en perdre la tête. Chacun joue la comédie des apparences mais dans une bonne humeur constante. Cela n’atténue en rien la portée du drame, la tristesse de ce qui se raconte. Au contraire, on saisit mieux ce qui se joue entre Cécile et Danceny : leur innocence perdue et bafouée. En nommant cette énième adaptation Valmont, Forman et son scénariste Jean-Claude Carrière ont choisi d’explorer la personnalité du Vicomte, d’en faire un homme et non une marionnette. Ils lui laissent une chance comme Forman l’a toujours donnée à chacun de ses personnages dans tous ses fi lms, des Amours d’une blonde à Man on the Moon. Valmont est libertin mais c’est d’abord un acteur génial (campé avec bonheur par Colin Firth). Il s’amuse avec Cécile, se peinturlure avec des fraises pour mimer une blessure, se rend à un duel en buvant plus qu’il n’est capable de le supporter. Pour séduire Madame de Tourvel, il se jette littéralement à l’eau, imagine un concert dans les fourrés, boude comme un enfant quand elle l’éconduit la première fois. Valmont n’est pas que libertin. Il ne cherche pas qu’à se repaître de chair, il veut posséder Tourvel, l’arracher à son mari et à sa promesse de vertu. La passion qu’il y met le rend amoureux. Valmont aime Tourvel de tout son être. Mais à sa manière. Forman aime Valmont et s’attriste contre ceux qui l’ont jugé trop vite. Forman adoucit la rigidité de Laclos sans ne rien perdre de sa puissance d’observation.