providenceÉcrite par Emily Mann, Still Life sonde les trois figures d’un triangle amoureux – Mark, sa femme Chéryl et sa maîtresse Nadine – dont les relations personnelles sont marquées par les traumatismes de la guerre en Afghanistan, où Mark a été marine. Chacun s’adresse directement aux spectateurs, et dans l’entremêlement de leurs voix surgit, parfois, des bribes de dialogues possibles entre eux. Ouvrant et clôturant la pièce, Mark constitue le pivot du trio. Le comportement de ce jeune homme déstructuré, en proie à des accès de violences et à des obsessions morbides rejaillit tant sur ses relations avec son épouse qu’avec son amante. Un peu plus âgée, élevant seule ses trois filles, militante pour la paix et les droits des femmes, Nadine semble paradoxalement reconnaître dans la rage de Mark quelque chose d’elle-même. Quant à Chéryl, se définissant comme autrefois naïve, elle attend son deuxième enfant et a abandonné toute illusion sur son couple. Avec son écriture sèche, précise, ciselée dans sa structure chorale, Still Life brosse finement le portrait de personnages désenchantés et écorchés par la vie. Interprétée brillamment par les trois comédiens, la pièce déplie dans un dispositif épuré les états d’âme et les divergences de chaque personnage. Si leurs points de vue semblent initialement aux antipodes, le texte révèle progressivement dans les résonances des paroles leur proximité.

Dans Providence de Neil LaBute,ce sont les origines de la guerre d’Afghanistan déclarée par l’administration Bush qui offrent l’arrière-plan du drame amoureux. « Arrière-plan », oui, car les attentats du 11 septembre 2001 sont traités par le prisme de la pièce de moeurs. Cette fois l’épouse est absente, et l’action se situe dans le salon de l’amante. Ben aurait dû se trouver dans l’une des tours jumelles et périr dans l’attentat. Ayant préféré visiter sa maîtresse plutôt que d’honorer un rendez-vous professionnel, et ayant, par ce geste, la vie sauve, il se terre depuis chez elle. Lui veut profiter de l’événement pour changer de vie avec elle. Mais l’abandon de leur existence respectives ne peut se faire que sur la confiance, et c’est celle-ci que les amants mettent à l’épreuve, tandis que les bruits lancinants de sirènes et les appels téléphoniques rappellent la tragédie en cours. Moins subtile dans son écriture que Still Life, Providence permet à Marie-Christine Letort de tenir avec rigueur sa partition.

De l’un à l’autre de ces spectacles, qui par leur mise en scène minimale se concentrent sur le jeu des acteurs, Pierre Laville observe par le bout de la lorgnette du drame bourgeois les traumatismes politiques et historiques affectant la société américaine, jusqu’aujourd’hui.

Still Life d’Emily Mann
du 10 avril 2018 au 19 mai 2018, à 19h30

Providence de Neil LaBute
du 3 avril 2018 au 12 mai 2018, à 21h30

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