dernière folieIl y a des rêves prémonitoires dont on ne saisit pas bien le sens ni la nature à mesure qu’ils se déroulent mais dont on sort avec la trace de l’inéluctable, cette impression désagréable que les choses ne pouvaient se dérouler autrement. Le rêve qui a agité la nuit de Claire Darling (Catherine Deneuve), veuve depuis plusieurs décennies, est sûrement de ceux-là. Elle qui, en pleine nuit, le regard paniqué, les cheveux blancs ébouriffés, s’est surprise à héler un visiteur inconnu qui manifestement n’existait pas, se lève persuadée qu’elle entame là le dernier jour de sa vie. Cette prescience la pousse à se débarrasser des innombrables bibelots qu’elle a amassés tout au long de son existence et qui s’empoussièrent dans sa maison. Autant de curiosités dont le grand déballage va faire la joie de ce petit village de l’Oise et rejaillir les souvenirs et les êtres auxquels elles sont associées.

Un tel vide-grenier vaut comme un vidage de crâne. Ce n’est pas que Claire perd la tête, c’est qu’elle la vide et tout ce qu’elle y a emmagasiné paraît se répandre dans son jardin, puis partout dans le bourg. Reviennent les êtres aimés disparus comme son fils à la jeunesse à jamais éternelle, des moments passés qu’elle pensait oubliés, des sentiments coupables et ses proches, vivants mais vieillis. Parmi eux, il y a sa fille, Marie que Chiara Mastroianni joue avec une colère rentrée et une belle mélancolie automnale. Si ce jeu mère / fille à la vie comme à l’écran est parfois troublant, la ressemblance entre Chiara Mastroianni et Alice Taglioni (qui joue le rôle de Deneuve plus jeune) l’est d’autant plus : la fille est devenue sa mère. Hormis les flashbacks trop explicatifs, l’entremêlement des temporalités (souvenirs, apparitions, réalité, présent fantasmé) est provoqué par de légers mouvements de caméra qui accompagnent Claire et nous font passer, avec elle, d’une réalité à l’autre alors que la lumière passe progressivement du jaune ensoleillé à l’orangé des fins d’après-midi avant de s’enténébrer complètement. Par un effet de vase communicant, les autres personnages sont aussi submergés par des visions. Il y a ce moment vertigineux où Marie croise son double adolescent, cartable sur le dos et quelques petits grains de beauté sur la joue (les mêmes que ceux de Mastroianni). D’un coup, un gouffre, d’une tristesse immense, s’ouvre : on se souvient de ce temps perdu où le deuil comme l’affliction appartenaient à d’autres planètes. On pense à Bergman pour ce passé qui vient assiéger le présent, ce goût des automates que collectionne Claire, cet esprit forain qui se manifeste notamment à travers une farandole d’enfants, déstabilisant le sentiment de mort omniprésent. Pas vraiment dans la ronde, une joyeuse fillette semble revenir à chaque fois du pays des Merveilles sans que l’on ne sache si elle existe vraiment, si elle représente Claire enfant ou si elle n’est qu’une chimère de plus rejouant l’innocence d’un temps révolu.