David Vann

C’est à partir de ce problème, cette question, ce passage, que le romancier américain David Vann déplie l’histoire affreuse de son dernier roman, Impurs. Les Français l’avaient découvert avec Sukkwan Island (éditions Gallmeister), best-seller immédiat, roman sur un père qui entraîne son fils, Roy, à s’isoler de tous avec lui, dans une cabane; les deux finiront par se haïr. Roman familial cauchemardesque : on est au coeur de l’univers de Vann. Passons sur Désolations (éditions Gallmeister) qui nous avait moins convaincu. Vann revient avec Impurs (éditions Gallmeister), roman viscéral réussi à l’instar de Sukkwan Island. Ça commence comme du Tchekhov (roman familial dilettante), ça continue comme du Bernhard (roman familial violent, gangrené par la haine) et ça finit comme un film d’horreur et dans un panthéisme New Age délirant, sinon fou. Ce roman hybride, nous raconte David Vann qui met les tripes sur la table, est très proche de sa propre vie. Oh My god ! Ce Vann est un furieux : il s’agit d’un fils qui enterre sa mère vivante !

Kevin Powers

Un autre Américain publie un premier roman impressionnant, Kevin Powers, avec Yellow Birds (Stock). Il raconte son expérience en Irak, à Al Tafar, en 2004. A travers un lyrisme frisant la naïveté, (il n’avait que 17 ans quand il est parti en guerre), des images réussies, il raconte la cruauté de la guerre, de sa guerre, son absurdité permanente, la folie qui y rôde sans cesser, l’impossible retour du vétéran, la détresse de celui qui tue trop tôt et une fois pour toute l’innocence qui vit en lui, encore beaucoup, à cet âge-là. Il voulait devenir un homme, nous dit-il dans l’entretien : il l’a payé bien cher. Sa tristesse est grande.

Bruno Dumont

Il signe peut-être son plus beau film : Camille Claudel 1915. Juliette Binoche, en retenue, excelle dans son travail d’actrice. Grâce d’une sainte, larmes amères, rires tendus, silences résignés, grimaces de malades : son visage exprime à la perfection une palette large de sentiments. Le film est rigoureux, les plans fixes, dépassionnés et dépouillés jusqu’à l’os. C’est l’anti Camille Claudel de Bruno Nuytten, romantique en diable. Le réalisateur empreint de mysticisme, semble garder ses distances dans ce film vis-à-vis de ses penchants habituels, pour montrer. Bassement montrer, pourrait-on dire. Montrer quoi ? Le quotidien de Camille, trois jours, 1915, asile psychiatrique de Montdevergues, ennui, répétition des gestes, joie, crainte, doute, fatigue, faim, sommeil : tout y passe, c’est-à-dire pas grand-chose ; l’oisiveté tout au plus. Montrer en élargissant la focale, mais pas beaucoup plus : le fonctionnement d’un asile psychiatrique. Le film est comme une peinture réaliste. C’est, me semble-t-il, la plus belle force du film : avoir évacué la tentation bien tentante de faire du drame ou du tragique avec ce sujet-là (même si des traces de l’un ou de l’autre apparaissent ici et là dans le film). Dumont, paisiblement, prend des notes, cadre, observe, « soustrait », comme il nous le dit dans son entretien. Pas la peine d’ajouter du drame au drame ; c’est tout l’art minimal de Dumont. Camille Claudel ne sortira jamais de cet asile, elle y mourra, 30 ans plus tard. Rien à ajouter, pourrait nous dire l’élégant Dumont.