renaud buretTrop tôt disparu en 2010, Renaud Burel laisse avec Château-Rouge Hôtel un viatique à ceux que la vie écorche. Le récit sensible d’un écrivain qui a foi dans l’amour et l’écriture pour échapper à la folie.

  C’est le récit d’une dérive traversée par la grâce. Le narrateur de Château-Rouge Hôtel erre dans Paris et dans ses propres méandres intérieurs. Dans cette autofiction biberonnée à une mélancolie poisseuse, Renaud Burel, disparu par accident en 2010, raconte les chemins du pire – dont un suicide évité de justesse et comme par miracle. De séjours en hôpital psychiatrique en crises alcooliques, il menace de se perdre, mais ne cesse de poursuivre une double quête, celle de l’amour et de l’écriture, comme en miroir. « J’avais toujours pensé écrire. J’avais surtout par-dessus tout et partout et toujours voulu trouver l’amour. Mais durant le voyage je m’étais mis à boire. Et un jour j’étais devenu fou. Tout ça c’était la même chose pour un homme comme moi. »
           Au fil des pages, il dresse une carte du Tendre désenchantée. Il égrène les noms des femmes de sa vie, passions dévoratrices ou soeurs de passage. Anges ou fées, même quand elles le guident au plus noir de lui-même, il ne cesse jamais de croire en leurs pouvoirs. Elles sont la voie vers une poésie sans mièvrerie, celle des Ailes du désir de Wenders dont le souvenir affleure dans le texte. « Pour moi la question était réglée une fois pour toutes : le surnaturel, c’était la Femme. » Certain que l’écrivain se doit d’être toujours un peu prophète, Renaud Burel a foi en la gravité de l’écriture. Il croit en un monde de signes, de présages, d’épreuves à remporter. De la mort frôlée, il garde le sentiment d’être passé de l’autre côté des choses, d’avoir contemplé une vérité d’un autre ordre. La folie elle-même a partie prenante avec cette révélation : « de ce maelström d’intuitions, de visions et d’illuminations qui en tournant vinaigre m’avait dézingué en plein vol un jour de pétage de plombs maximum, il me resterait à jamais une préhension métaphysique des choses ». Ses pages sont traversées par une tendresse pour les fragiles. Son espoir insistant de même que le goût du jeu et de l’autodérision font passer le texte du côté de la lumière, au-delà du combat contre les ténèbres. Mais l’écriture elle-même résiste, se refuse, ou ne s’offre que par fulgurances. « Ecrire. Mais quoi ? Les Muses ne venaient pas à moi, voilées d’éther, m’envoûter de leurs chants stupéfiants. Juste parfois quelque chose, un caillou, un tournesol, un lutin… ou un monstre… un truc qu’il fallait noter tout de suite avant de l’oublier… ou alors rien. » Renaud Burel écrit par fragments incandescents. Proche du lyrisme âpre et fiévreux d’un Luc Dietrich, il est de la famille de ces clochards célestes qui font se tutoyer la rudesse du réel et l’aspiration à la magie, la langue de la rue et celle du spirituel, à travers un « mensonge véridique comme une main tendue vers une réalité trop violente pour se dire sans poésie ». Il sait que le réel ne peut être saisi que dans cette rencontre brûlante des contraires. Quitte à engager son existence même.