cjap^linAprès la superbe exposition « Charlie Chaplin-l’homme orchestre » à la Philharmonie de Paris, on était curieux de découvrir le « Charlie Chaplin dans l’oeil des avants gardes » proposé par le Musée d’Art de Nantes. On savait déjà que le personnage de Charlot avait nourri le travail de Fernand Léger, de Paul Klee et de Diego Rivera mais nous étions impatients d’en apprendre plus : qu’est-ce qui dans cette figure de vagabond maladroit a tant inspiré les cubistes, les surréalistes, les artistes Dada et…l’Internationale lettriste d’Isidore Isou ? Cependant, on venait à Nantes avec une légère crainte : la crainte que cette exposition s’épuise (et nous épuise) à traquer les occurrences de Charlot dans les arts du XXe siècle. Et qu’à accumuler les preuves, elle perde de vue l’esprit des oeuvres évoquées.

Eh bien le travail de Claire Lebossé, commissaire de l’exposition, déjoue admirablement cet écueil. Certes le parcours proposé identifie quelques influences directes (chez Moholy-Nagy, Varvara Stepanova, Marc Chagall, Carl Meffert, Erwin Blumenfeld, Max Ernst, Werner Rohde) mais, surtout et avant tout, il met en scène et en espace une manière de dialogue rêvé entre l’oeuvre de Chaplin et celle des avant-gardes. En effet la scénographie et le (riche) choix des oeuvres font comprendre et ressentir à quel point les films de Chaplin furent rêvés et fantasmés par les avant-gardes du XXe siècle. Ainsi la filmographie de Chaplin entre, au Musée d’Art de Nantes, dans une conversation onirique avec des créations aussi diverses que celles de Kupka, de Hine, de Brassai, de Kertész, de Brauner, de Dali, de Miro, de Calder, de Schlemmer, de Prévert, d’Aragon, de Stieglitz, de Cahun, etc. Ainsi le visiteur est conduit à arpenter un musée imaginaire où il n’est pas mis en situation d’élève à qui on prodigue un cours magistral, mais où il est invité à ressourcer son imaginaire. Un musée imaginaire où il se vit, en somme, comme une sensibilité exposée à quelques grands gestes créateurs.

Ces gestes, quels sont-ils ? Eh bien, ce sont eux qui donnent leur intitulé aux différentes salles de l’exposition. il y a d’abord « l’homme machine » : à partir du fait que la démarche de Charlot propose un exemple idéal et particulièrement poétique de décomposition mécanique du mouvement, une question est ouverte : la fusion entre l’homme et la machine est-elle libératrice ou aliénante (Les Temps modernes) ? Puis, il y a la « poétique du monde », à savoir, comme l’écrit Claire Lebossé, la « capacité intacte de faire surgir le merveilleux en réinventant les objets par transfert poétique ». Ensuite, le « spectacle mis en abyme », c’est-à-dire la mise en évidence du pouvoir créateur du public. Enfin, « l’absurdité de l’histoire ». Le personnage le plus célèbre de l’histoire du cinéma étant un opprimé et un déclassé, Charlot a participé à faire de la pauvreté la grande question du siècle dernier, et celle de notre époque. Bref, comme le souligne Henri Michaux : « maçon, policeman, il est de tous les métiers – et là-dedans, il est une âme moderne ».

C’est dans cette âme moderne que ce « Charlie Chaplin dans l’oeil des avant-gardes » nous permet de faire un fascinant voyage.