C’est  avec une gourmandise certaine que, à Transfuge, nous avons accueilli l’annonce de la sélection officielle du prochain  Festival de Cannes. A l’heure où nombreux interrogeaient (ou conspuaient) la décision de Thierry Frémaux de ne pas accueillir, cette année encore, de productions Netflix, le délégué général du Festival semble nous proposer un menu en forme de défi, voire de pied de nez.  Un programme à la fois musclé et élégant qui rappelle que, jusqu’à preuve du contraire, le meilleur du cinéma est encore, en 2019, produit par…. le cinéma.

Transfuge, notre curiosité et notre attention vont d’abord à un cinéma vivace et ouvert sur le mystère du monde, à un cinéma ample et aiguisé, puissant et racé. C’est pourquoi nous espérons voir cette année des films de la trempe de Burning de Lee Chang-dong, de LesEternels de Jia Zhang-ke ou d’Un Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan.  A ce titre, les films d’Arnaud Desplechin (Roubaix, une lumière), de Jim Jarmush (The Dead don’t die), de Marco Bellochio (Le Traître), de Terrence Malick (Une Vie cachée), de Kleber Mendonça Filho (Bacurau) sont, sans conteste, ceux dont nous attendons le plus. A cette liste, on peut ajouter les films de Diao Yi’nan (Wild Goose Lake), de Jessica Hausner (Little Joe) et de Mati Diop (Atlantique),  trois cinéastes qui ont fait naître de grandes espérances.  Complétons cette première salve avec les noms d’Elia Suleiman (Ca doit être le paradis) et d’Ira Sachs (Frankie) deux réalisateurs qui, tout en travaillant une forme plus mineure (au sens où Deleuze parlait de « littérature mineure » : une littérature politique qui fait minorité dans une langue majeure) ont souvent produit des oeuvres inspirées et gracieuses.  Nous guetterons également avec excitation le  nouveau film de Bong Joon-ho (Parasite), trublion parfois génial,  parfois plus poussif.

Bien sûr, on ne boudera pas les oeuvres de certaines signatures confirmées. D’autant que, d’après des premier échos, certaines nous reviennent très en forme (Almodovar avec Douleur et gloire, Luc et Jean-Pierre Dardenne avec Le Jeune Ahmed,  Ken Loach avec Pardon tu nous as manqué). Même s’il faut avouer qu’ici le degré d’excitation – la sensation que nous allons peut-être voir quelque chose d’inoui – est un peu moindre. Sans parler de  Xavier Dolan (Matthis et Maxime) qui nous épuise d’avance. Enfin, même si leurs travaux précédents ont suscité àTransfuge des sentiments contrastés, nous sommes très curieux des nouveaux films de Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu) et de Justine Triet (Sibyl) : nous sommes convaincus qu’elles peuvent emmener leur cinéma en un lieu insolite et envoûtant où on ne l’attend pas. 

Un vrai regret : l’absence duJeanne de Dumont en compétition. Son Jeannette nous a offert en effet une expérience de cinéma radicale et exaltante, le genre d’expérience que l’on attend de la sélection officielle.  Enfin la présentation hors-compétition de La belle époque de Nicolas Bedos suscite une certaine défiance. On craint l’effet Grand Bain. A savoir que la fable vulgaire et haineuse devienne désormais, à Cannes, un genre en soi (et l’origine d’un nouveau snobisme). Enfin, on ne peut s’empêcher de rêver à un repêchage in extremis du Mektoub My Love : Intermezzo d’Abdellatif Kéchiche.  Avec une brochette Desplechin- Kéchiche –Jarmush-  Malick nous n’aurions, en effet, presque plus le droit de faire la fine bouche….