gomesLes Mille et Une Nuits, volume 1: l’Inquiet

 

Miguel Gomes plante son triptyque mastoc sur la Croisette, trois volets de deux heures dont le dernier sera déplié mercredi prochain, avec une ambition aussi monumentale que celle de sa forme-retable: rien moins que prendre le pouls d’un Portugal économiquement claudicant en allant puiser du côté des Mille et Une Nuits. Une Schéhérazade lusitanienne en trompe-l’oeil, puisque le prélude à cette trinité-fado désamorce les les réflexes critiques: Gomes précise bien qu’il ne s’agit pas d’une adaptation de la tapisserie orientale, mais bien plutôt d’un retricotage souverainement libre. D’une tradition, l’autre: Gomes fait muter la série des cliffhangers arabes, en la greffant sur la culture populaire occidentale, se payant au passage le luxe de répondre de façon aussi convaincante que brillante à la question: qu’est-ce qu’un cinéma vraiment populaire, ni douteusement populacier, ni folkloriquement populo, ni platement sociologisant? Gomes réinvente la pop culture – en déplaçant l’accent sur “culture”. Il renoue avec le fil rabelaisien du carnaval (inoubliable segment qui montre les marionnettistes des destinées économiques de l’Europe sous les traits d’une clique de beaufs priapiques), rouvre la place à la fois mythique et familière qu’occupait l’animal (le chapitre du coq ressuscite les procès médiévaux intentés aux hˆotes des basse-cours), laisse entendre, dans un jeu virtuose de voix off, la mémoire ouvrière des chantiers navals exsangue, ou encore offre un écrin d’art brut (un truc mi-squat punk, mi-installation) aux éclopés du capitalisme à qui il prête la parole. Et non content de creuser à nouveau tous ces gisements, Gomes prouve qu’ils ne sont pas taris – loin de là. Un film-peuple, au meilleur sens du terme.