gudvansantLa Forêt des songes, Gus Van Sant, en compétition

 

Huées dans la salle de projos, curée dans la salle de presse, ricanements gênés ou franchement goguenards dans la salle Transfuge (soit les quelques mètres carrés ambiance vestiaire de footeux investis par la team Transfuge): on s’est sentis un peu – euphémisme – seul, façon prophète s’égosillant dans le désert, lorsqu’on a entrepris de défende le dernier VGS, unanimement étrillé hier soir, au sortir d’une séance où ça a trépigné, baîllé, gloussé. Et pourtant…Bon, évidemment, on a beau avoir la fibre jésuite et cultiver la mauvaise foi comme d’autres les orchidées, il faut bien concéder que le GVS cuvée Croisette 2015 fait palotte figure auprès d’un Paranoid Park, par exemple. reste que cette Forêt des songes-là n’est pas le cimetière de l’Elephant. Au contraire, même: jouant délibérément sur une partition mineure, dont les premiers accords feutrés et modestes avaient été plaqués lors de Restles, double gémellaire et symétrique de celui-ci (la tentation, alors encore en sourdine, du Japon, la mort comme chromo chrysanthémé, le parfum diffus de spiritualité feel good), la Forêt des songes distille sous son feuillage d’exotisme New Age une simplicité qui ne rime pas avec facilité. L’argument tient sur un demi timbre-poste: un veuf inconsolable (Matthew McConaughey, qui se tire plutôt bien du registre mélancolique) s’envole pour l’Empire du Soleil levant. Objectif: grossir les statistiques d’un coin aussi bucolique que peu Feng-shui, une forêt à la traîtresse luxuriance qui semble magnétiser les suicidaires de tout poil, qui rivalisent d’ingniosité macabre pour rejoindre leurs ancêtres. Mais un autochtone égaré, et passablement amoché, changera le cours de cette chronique d’une fin annoncée. La forêt de GVS abrite certes toute la pacotille du japon spirituel pour les nuls (esprits, avatars végétaux des âmes des disparus), mais elle cache surtout l’arbre d’un dispositif visuel et narratif qui a l’efficacité et la rigueur d’une proposition mathématique. Opération-pivot:l’équivalence. Les événements de la vie américaine et en couple de notre aspirant à l’extinction volontaire sont traduits à l’autre bout du monde par des éléments naturels et des péripéties simplement physiques (une chute à répétition, et sanglante, par exemple) qui ont les linéaments un peu bruts (comme on dit art brut), voire primitifs, de figures archétypales. Le caisson IRM où sa femme a appris sa tumeur se mue en grotte hérissée de blocs glissants, le mur où achoppait leur vie commune devient, littéralement, un mur rocheux…Au petit jeu des correspondances et des symétries, on pourrait continuer longtemps. Mais ce va-et-vient n’a rien d’une circulation gratuite, ou d’un simple procédé de cohésion visuelle du tout. Il matérialise un mécanisme mental, un processus de prise de conscience: la façon dont on se traduit, en images aussi fortes que simples, la chaîne des traumas et des vicissitudes d’une vie. La façon dont on se les rejoue pour mieux les appréhender. D’où ce très beau plan sur le visage de McConaughey devant un feu de camp alors qu’il raconte les carambolages affectifs qui ont secoué son couple – un visage comme embrasé, illuminé, celui d’un homme qui voit enfin, littéralement en pleine lumière, ce qu’il a été. La forˆet des songes, ou la conquête de la lucidité.