tete hauteHAUTE OUVERTURE

Ca y est, c’est parti. Avec en Ouverture, loin des flonflons des années précédentes, des soupirs rances de Grace De Monaco et des soucis d’enfant gâté (et pleurnichard) de Gatsby le Magnifique, un film social, un vrai : documenté, rigoureux, voire tatillon, mais aussi rugueux et engagé. Dans La Tête Haute d’Emmanuelle Bercot, Catherine Deneuve joue une juge d’enfants qui tente d’accompagner et de sauver Malony (Rod Paradot), de ses six à dix sept ans. Malony est comme dans la grande tradition des films sociaux français sur la petite délinquance un animal obtus, une tête à mandales, un sanguin, un être frustre tout en nerfs et fort en gueule, une furie en jogging qui ne demande qu’à cogner, se battre et emmerder tout le monde : sa mère, sa juge, son éducateur, ses potes, sa meuf, la société. Comme depuis L’Enfance Nue de Pialat – film étalon du genre – et jusqu’au récentMax et LennyDe Fred Nicolas, évidemment la mélancolie affleure sous l’hystérie des coups de nerfs, la douceur de larmes que l’on voudrait cacher tempère la brutalité des coups de boule et Schubert joue en duo avec le RAP le plus agressif.

 

Bercot s’intéresse autant à la difficulté du garçon à s’insérer, à trouver les mots pour s’exprimer, à ses vaines tentatives pour se raccrocher à son égoïste de mère qu’aux innombrables impasses où il semble se perdre (souvent par connerie) avec sa juge et son éducateur campé par Benoit Magimel. En fait, Bercot a l’intelligence de s’intéresser à tous les discours, de les confronter avec la distance adéquate mais sans prendre parti : que ce soit celui de ceux qui prônent pour Malaury l’insertion, l’éducation comme à celui des plus sévères qui pensent qu’Amory devrait passer par la prison plutôt que de coûter des efforts et des sous.

 

Dans la première partie du film, on se dit que tout ça sonne plutôt faux et ronflant, façon Nouvelle Qualité Française : on sent le film initiatique à bons sentiments où l’animal enragé finira par être domestiqué. On sent la direction d’acteur un peu volontariste, le besoin d’étaler des informations incompréhensibles pour racoler. Sara Forestier dans le rôle de la mère dépassée en fait des tonnes. On sent l’enquête instructive, le programme éducatif déjà balisé, à l’attention des parents qui craignent les enfants mal élevés ; bref le gentil mélo un peu nerveux qui se donne des airs citoyens. Sauf que La Tête Haute remporte la mise sur la durée, au fur et à mesure qu’il s’étire, à mesure qu’il prend le parti du romanesque autant que de celui de l’enquête. La cinéaste filme ainsi patiemment le travail de longue haleine de Malory et de ceux qui l’entourent et la façon dont ce travail (avec ses succès maigres et ses revers spectaculaires) affecte leur existence.

 

Bercot filme chaque rebuffade du gamin et de son éducateur, chaque échec à ses tentatives d’apaisement, chacune de ses conneries, toujours plus importantes, plus graves, plus fatales graduellement, à mesure qu’il grandit et qu’on le croyait comme dans n’importe quel autre film déjà sauvé d’affaires. Mais aussi le moindre petit mot qui pourrait signifier l’air de rien un apaisement intérieur. Impossible de savoir ce que signifient ces gestes : sont-ils tendres ou furieux, ces déclarations d’amour, sont –elles pudiques ou fausses et intéressées ? Dans La Tête Haute, le personnage échappe à tout programme. C’est un gamin, comme tant d’autres, que la cinéaste a simplement décidée de suivre et d’accompagner, le temps d’un film pour que justice soit faite. Ce qui fait de La Tête Haute un film en croissance, patient : moins à hauteur d’ado, selon l’expression consacrée, qu’au diapason, au tempo – biologique – d’un môme.