cornicheOn les voit de loin, les minots, avec leurs peaux pain d’épices ou caramel, on les entend aussi pousser leurs cris de guerre en haut des falaises de Marseille. Ils sont sept, Marco, Mehdi, Franck, Mélissa, Hamza, Mamaa et Julie, sept gavroches ensoleillés, enfants des classes populaires s’affranchissant de la routine scolaire et de toutes les politesses élémentaires pour s’en aller sauter dans la mer en arabesques audacieuses depuis les points culminants de la cité phocéenne. Leur jeu interdit fascine Suzanne (Lola Creton), gosse de riche d’une villa toute proche, dont la petite nuque ploie sous le joug des révisions, de Madame Bovary, de Voltaire et des inquiétudes de sa mère. Suzanne rêve de rejoindre les falaises où jeunesse se passe et se surpasse, là où bonne naissance et belle éducation sont une tare, où les autres sont hostiles, surtout les filles. Ce sont les garçons, Mehdi, rond et doux comme un galet, blond aux yeux bleus né d’une mère Bretonne et d’un père maghrébin, et Marco, fin, brun, nerveux, qui lui accorderont la permission de rejoindre la meute, subjugués par le charme de l’adolescente. Dans cette adaptation du roman de Maylis de Kerangal, Dominique Cabrera film la sauvagerie de la ville. Marseille l’indomptable, dont les rues se jettent droit dans la mer, dont les murs surplombent le vide, et ses indomptés, intrépides à se jeter à l’eau depuis n’importe lequel de ses belvédères. Marseille la violente, aussi : Marco sert de coursier à un gang mafieux, easy cash , pas d’embrouilles, jusqu’à ce que ses chefs assassinent sous ses yeux l’un de leurs subalternes et que le jeune homme se retrouve avec les flics aux trousses et un sac de dope sur les bras. S’il a ses flics (dont Aïssa Maïga, fragile et juste), ses flingues et sa drogue, Corniche Kennedy  n’est pas un polar. Dominique Cabrera ne fait que suivre de loin la piste du banditisme, absorbée par les éléments immuables du décor qu’elle filme : sous sa caméra, ils semblent aller naturellement par paires – le ciel et la mer, la peau nue des adolescents et le calcaire cru des falaises. Le film, comme le roman, s’affranchit de la psychologie du personnage – ceux-ci existent d’abord par leurs corps, leur vertige, leur rapport organique à la ville, à l’air, à l’eau, aux rochers sur lesquels ils s’allongent. Dans une filiation assumée à Rohmer, la réalisatrice s’attarde longuement sur les épidermes, les grains, les textures, livrant un cinéma d’une sensualité franche et fraîche : ainsi ces scènes, répétées, sublimes, où Suzanne et les deux garçons filent sur un seul scooter, peaux à peaux, têtes contre têtes, se respirant, se frôlant, souriant sous le crépuscule mauve d’une Marseille renversante. A travers ces scènes, comme à travers celles, spectaculaires, des sauts des adolescents crevant le ciel puis la mer, Dominique Cabrera profite de la cinégénie spontanée du paysage et de ses jeunes acteurs, castés sur le vif, non-professionnels. Un film qui nous saisit de sa puissance jusque dans la bande-son, un rap tragique et obsédant écrit par Kamel Kadri, acteur révélé et gamin du cru.