Bernard-Henri Lévy revient en beauté ce mois-ci : avec un livre de philosophie, De la guerre en philosophie, et deux pavés passionnants – Pièces d’identité – titre donné, écrit BHL dans sa préface, en référence aux premières lignes d’Ecce Homo. Ces deux derniers livres sont des recueils de chroniques écrites ici et là, à l’exception de celles du Point : celles du New York Times, du Frankfurter Allgemeine Zeitung, du Monde des livres, de Transfuge (voir son interview sur Kundera dans le numéro 29), de revues branchées comme Purple, et des textes pointus, issus de conférences de l’Institut d’études levinassiennes. Fidèle à son programme d’intellectuel médiatique, il y est question de tout : philosophie, art contemporain, politique et littérature. C’est évidemment sur la littérature que nous avons interviewé BHL, qui pense comme Mallarmé que « le monde est fait pour aboutir à un beau livre ». Nous avons parlé de sa rencontre avec Norman Mailer, et ce qu’il en a appris sur la vieillesse d’un intellectuel ; de son meilleur livre qui revisite avec intelligence la figure de Sartre, en ces temps où l’on ne jure que par Camus ; du rapport qu’il existe entre littérature et Talmud, sur lequel BHL écrit un texte puissant ; de sa conception de la littérature, bien sûr, très engagée, nourrie d’approches biographiques, nourrie de romans à idées comme ceux, par exemple, d’Alberto Moravia, dont il juge l’oeuvre et la vie extraordinaires : homme à femmes, engagé – malgré lui – dans le front antifasciste, européen convaincu, irrévérent, scandaleux.

Moravia, justement, à qui nous avons consacré notre dossier. Une biographie très fouillée vient de paraître, signée René de Ceccatty, qui a connu le romancier italien, et dont il est un des traducteurs. Il revient avec une grande précision sur son amitié avec Pasolini, son amour avec la poétesse Elsa Morante, qui apprend-on, fait incroyable, l’a quitté pour… Luchino Visconti ; sur le Moravia critique cinématographique, dont l’analyse, nous dit le biographe, s’avérait excellente. Il a écrit plus de deux mille articles de cinéma, vingt de ses livres ont été adaptés, et fait rare pour un écrivain, il rencontrait lui-même beaucoup d’artistes dont il vendait les interviews à la presse, comme par exemple un entretien devenu légendaire avec Antonioni, dont l’univers était très proche de celui de Moravia. Il faut lire à ce titre, et à bien d’autres égards, le formidable livre d’entretiens qu’il a accordés à son ami Alain Elkann, Vita di Moravia (Flammarion). Il y a aussi de très belles pages sur le Moravia grand reporter – il passa une grande partie de sa vie à voyager un peu partout dans le monde ; sur sa personnalité, vitaliste, mais désespérée. Il aborde aussi ses grands thèmes : sa critique de la bourgeoisie et de ses tares, son pessimisme sur le couple, l’inceste… Et sur ses livres bien sûr, proustiens de son propre aveu, s’inscrivant dans un réalisme à la française, dans lequel il met Molière, Stendhal, Balzac, Zola, et Proust, ces écrivains qui ont voulu dépeindre la société de leur époque. Il y a les livres que tout le monde connaît : Le Mépris, Le Conformiste, L’Ennui mais il y en a bien d’autres : de son premier roman, Les Indifférents (1929), paru à l’âge de 22 ans, drame bourgeois sur une famille qui se déchire, jusqu’au dernier, La Femme-Léopard (1989), qui paraîtra un an après sa mort, et qui raconte une de ses grandes obsessions : l’Afrique.

C’est d’ailleurs de ce côté du monde que Transfuge a déniché l’excellent roman de ce mois de février : Antibes de Corinne d’Almeida. C’est le premier roman de cette Togolaise qui vit en France depuis ses 19 ans. Un peu de Houellebecq, de Céline, de Marie NDiaye chez ce jeune écrivain de 37 ans, qui nous raconte le vieillissement du corps des femmes. Une vraie langue.

La langue n’était pas le fort de Tennessee Williams, mais il avait bien d’autres arguments, et notamment une grande connaissance de la psychologie humaine, et du désir des hommes et des femmes, dans le sillon de D.H. Lawrence. C’est pourquoi il ne faudra certainement pas manquer la mise en scène de Warlikowski au théâtre de l’Odéon d’Un Tramway nommé désir, où Isabelle Huppert joue le rôle de Blanche. À cette occasion, nous avons demandé des textes à deux romanciers, et non des moindres, dingues du Tramway : Philippe Besson et Daniel Mendelsohn. Williams, tout sauf démodé.

Enfin, beaucoup de très bons films ce mois-ci : Wes Anderson revient avec une adaptation de Mr Fox de Roald Dahl, toujours aussi déjanté et infantile ; A single Man de Tom Ford, et surtout, Le Refuge de François Ozon, que nous avons rencontré longuement. Ozon est définitivement un des meilleurs réalisateurs français de la nouvelle génération. Il revient sur son obsession du moment : les enfants, l’enfantement, ce qu’est une grossesse. Un film comportementaliste, avec une Isabelle Carré convaincante, opaque. Le film est rohmérien à plus d’un titre, Rohmer, d’ailleurs, à qui nous rendons hommage, en réfléchissant sur son héritage dans le cinéma français contemporain. •