berlin jour 4Avec Effacer l’historique, Kervern et Delépine réussissent une vraie bonne comédie, soit un film hilarant et pertinent. En narrant les aventures de trois voisins (Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero) empêtrés dans l’enfer du numérique, les deux cinéastes se font les observateurs lucides, cruels et précis de notre époque. Leur scénario tient la route parce qu’il ne semble jamais épouser un quelconque programme. À la sortie du film, et même le lendemain, nous continuions à rire de certaines trouvailles comme celle du livreur cycliste d’eau (qui travaille pour « Alimazone ») et de l’usine délocalisée de cliqueurs. À noter aussi qu’Effacer l’historique est le premier film post-Gilets jaunes. On y reviendra vite.

The woman who ran est un Hong Sang Soo aimablement anodin. Construit en trois actes distincts, le film raconte la visite rendue par une jeune mariée à trois anciennes camarades. Les hommes sont quasi absents ou alors filmés presque exclusivement de dos. Le cinéaste coréen a l’art de donner de l’épaisseur à un caractère que l’on pensait d’abord vite tracé, à distiller des pistes romanesques, à troubler les conversations anodines et à interroger les points de vue.

Contre toute attente, Siberia d’Abel Ferrara est une excellente surprise. Dans Tommaso, son précédent film, son double (Willem Dafoe) travaillait au story-board d’un film très ambitieux. Le voici donc enfin ce film-rêve qui monopolisait l’énergie de son créateur : un voyage intérieur dans sa psyché ravagée, une aventure de feu et de sang dans son subconscient. La belle idée est d’avoir fait de Clint, son héros (toujours Dafoe) un trappeur, un aventurier solitaire, un personnage tout droit issu d’un roman de Jack London. Clint arpente les espaces arctiques, le désert et même l’Amérique en affrontant ses fantômes et les femmes de sa vie. On peut trouver ridicule la littéralité (freudienne) de son propos et de certains dialogues très explicites, mais il y a quelque chose de profondément émouvant dans cette naïveté sans filtre et dans cette façon soudaine d’inventer d’hallucinantes visions poétiques.

Rien d’étonnant à ce que Never Rarely sometimes de l’américaine Eliza Hittman soit à ce jour le film préféré de la presse internationale. On y suit les déambulations d’une adolescente de Pennsylvanie qui se rend en car à New York avec sa cousine pour se faire avorter en secret. La cinéaste accompagne ces deux gamines taiseuses, ne les devance jamais, tout en nous permettant néanmoins de comprendre la rudesse de leur environnement, la violence d’une certaine Amérique et la nature de leurs liens affectifs. Je me suis tout de même demandé si tant de silence n’était pas une commodité scénaristique et si ce naturalisme à fleur de peau n’avait pas déjà un peu fait date, notamment dans le cinéma américain indépendant. Mais force est de constater que le film émeut sans jamais chercher à nous soutirer des larmes.