barbaraLes paroles sont connues comme le loup blanc, pardon, comme le rapace couleur nuit qui donne son titre à la chanson : « Un beau jour/ Ou peut-être une nuit/Près d’un lac, je m’étais endormie/ Quand soudain, semblant crever le ciel/ Et venant de nulle part surgit un aigle noir ». Une apparition, une vision dans un état d’infra-conscience. C’est tout l’enjeu de ce « biopic » : raconter, au-delà de l’évocation-invocation de la longue dame brune, la naissance des illusions. La façon dont, pour parler en vieux style, s’élaborent les « prestiges », les visions imaginaires qui nous hantent.

Intelligence d’Amalric (saluée par le prix Jean-Vigo) : puisant dans la bio de Jacques Tournier, Barbara ou les parenthèses et dans un docu de Gérard Vergez, il se garde bien de dérouler un fil linéaire et continu, pratiquant plus que le tissage la technique de l’émaillage. Ici la mère (son impécuniosité, sa présence intempestive) ; là, un accès de maniaquerie dans la loge ; là encore, la retraite bucolique de sa maison du Précy ; et puis la route des tournées, le concert d’adieu, les lunettes aux verres démesurés…On a tout ça, mais atomisé, comme une constellation de ces résidus diurnes qui peuplent les rêves. Un film comme un mécanisme onirique donc : montrer comment se façonnent, de bribes et de broc, à partir d’une réalité comme passée à la centrifugeuse, ces visions discontinues, nimbées dans une brume à la magnifique photo, vaporeuse, bleutée, qui sont celles du sommeil.

Mais le nappage atmosphérique du rêve ne résume pas tout le film : Amalric échappe au travers de l’impressionnisme diffus. Avec une rigueur mathématique : son film a l’évidence schématique d’une équation. Car sous le « biopic », il y a ce qu’on nommerait en d’autres lieux un « méta-récit » : Yves (Amalric himself, très bien en réalisateur aux yeux de Chimène pour son sujet) prépare avec son actrice, Brigitte (Jeanne Balibar, très impressionnante, à la fois habitée, ultra-présente et distante) un film sur Barbara. Et les niveaux s’interpénètrent, Jeanne B. se fondant par exemple, dans une grande scène de mimétisme, avec des images de Barbara projetées sur un écran géant. Equation, disions-nous : Barbara = Balibar = Brigitte. Pour qui s’intéresse à la presse people, on notera une homologie entre le couple Yves/ Barbara (le cinéaste et l’icône) et Amalric/Balibar (le cinéaste et sa muse d’antan). Et tout se passe comme dans ces pièces baroques aux machineries huilées dont la seule finalité est de troubler la perception du spectateur, de lui faire prendre X pour Y. Bref, susciter l’illusion en jouant sur la gémellité, les analogies et les équivalences… Toute chanson fait se lever des images, suscite des apparitions, des illusions dans nos esprits – comme le film lui-même. Et sans doute est-ce pourquoi ce « biopic » si peu orthodoxe est si juste…