zona francaAprès avoir posé sa caméra au Maroc dans Voyage en sol majeur et à Jérusalem dans Le Jardin de Jad, Georgi Lazarevski nous convie à l’autre bout du monde en Patagonie. Zona Franca relate les transformations d’une région devenue vitrine touristique grâce à son grand centre commercial. Le réalisateur français, d’origine yougoslave, également photographe et directeur de la photographie sur des films comme Entre les Murs de Laurent Cantet, rend compte des évolutions et des bouleversements de ce lieu, situé au coeur de la province chilienne du détroit de Magellan. Le travail de Lazarevski confronte les paysages sauvages entre montagnes, pampa et glaciers, aux réalités sociales contemporaines. Le cinéaste met en lumière les conditions extrêmes de trois personnages dans cette contrée de l’Amérique du Sud, envahie par le tourisme : un chercheur d’or qui se sent appartenir au passé, une vigile qui tente de s’occuper dans sa guérite, et un routier engagé politiquement. Mais progressivement, il étend son champ d’analyse lorsqu’une grève de la population locale éclate pour protester contre l’augmentation du prix du gaz. Lazarevski oppose dès lors deux mondes, explorant les luttes et les cicatrices d’une Patagonie de plus en plus fragilisée, entre les habitants qui tentent de survivre et les touristes venus visiter les environs à pieds ou en paquebots pour des explorations australes vers Ushuaïa. Le montage intensifie cette dichotomie qui exhume une douleur bien plus profonde, enracinée depuis des siècles. Des plaies encore béantes d’un continent dévasté par les colons. Lazarevski entremêle ainsi les situations et capture l’effervescence de la Zona Franca. Il filme au plus près la mobilisation des manifestants, qui bloquent les routes tout en se heurtant à un gouvernement qui durcit ses positions. Mais aussi ce chercheur d’or qui tente de vendre son métal précieux aux plus offrants dans le centre commercial, et ce routier qui finit par remettre en question le sens et les fondements de son combat syndical. Parmi ces séquences, certaines sont rythmées par la voix commerciale d’un animateur dont l’accent anglo-saxon prononcé résonne dans la ville. Au micro, il raconte à la manière d’un show télévisé les récits romanesques et les aventures extraordinaires des pionniers de ce continent, jadis peuplé d’animaux mythiques et d’hommes géants, avant de clore sur un « Enjoy your day, don’t forget your caméra ! ». Lazarevski continue d’étayer son propos avec l’histoire d’un ancien abattoir, transformé en un hôtel de luxe avec piscine et transats, qui accentue les fractures et ce changement brutal dans les modes de vie de cette population insulaire, marquée par les inégalités. Sa caméra saisit ainsi la complexité de cette région reculée du monde, les strates de colonisation et les problématiques socio-économiques actuelles, absentes des dépliants touristiques, à travers cette grève qui est le point de cristallisation du documentaire.