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Paroles de femmes, parole de Dieu. Les sept héroïnes du très beau documentaire de Nurith Aviv, Annonces, méditent sur ces moments où Dieu s’adresse à Hagar, Saraï et Marie.

Avec ses marqueteries de citations, ses films comme des cadavres exquis poétiques et désarticulés, Godard a emmené le cinéma sur la voie d’une mutation inouïe : cet art parlant devenait un art de la parole. Nurith Aviv, qui a déjà ausculté amoureusement et patiemment l’hébreu à la faveur d’un trio de documentaires (Langue sacrée, langue parlée, D’une langue à l’autre et Traduire), pratique elle aussi un cinéma du verbe. Annonces, son très beau dernier film, est conçu comme une chambre d’échos. Il enchaîne sept entretiens, sept petits dispositifs tout simples de captation de la parole (les intervenantes sont assises face caméra dans un jardin, une pièce anonyme ou encore un bureau impersonnel). Les voix des philosophes Marie-José Mondzain et Barbara Cassin et des cinq autres participantes se succèdent et se répondent comme une polyphonie entrecoupée de plans sur le désert, la ville ou la mer et de photos de famille ou de tableaux de Lorenzetti ou de Van Eyck. Sept femmes, donc, qui tissent l’intime (Marie Gautheron raconte son adoption, Marie-José Mondzain l’histoire familiale à l’origine de son intérêt pour les images) et le sacré. À partir d’exégèses jamais austères de la Bible, du Coran ou d’Hésiode, de lectures inspirées d’images ou de lumineux déchiffrements étymologiques, elles tirent les fils enchevêtrés de l’histoire, de la foi et de l’art qui se nouent dans le mystère fondateur du christianisme : l’Annonciation. Défilent ainsi de nombreuses figures : la Vierge et Gabriel, Hagar, la servante d’Abraham, Saraï, sa femme stérile, ou encore Moïse, mais aussi les poètes grecs, les peintres flamands et telle sourate du Coran. Un petit monde bigarré, densément peuplé, comme appelé à la vie et recréé, par la seule grâce de l’Annonciation. Donc par le verbe – car l’Annonciation est d’abord une parole créatrice, cette parole de l’ange qui conduira à l’enfantement, à l’Incarnation.

La force créatrice de la parole : tel est l’enjeu d’Annonces, des images à la beauté grave et lente de Nurith Aviv comme des discours souvent passionnés de ces femmes. Car, précise l’une d’elles, « il y a quelque chose de premier et de basique dans les voix », une puissance vitale, matricielle, que Nurith Aviv traduit avec une idée visuelle récurrente qu’on appellerait volontiers un effet spécial théologique. C’est une succession de photos de famille en noir et blanc, de clichés d’enfance de la femme qui prendra ensuite la parole. Mais la dernière photo n’en est pas une – c’est une image fixe qui se colore, s’anime et s’inscrit dans le plan large d’un décor. C’est le visage actuel de l’intervenante, c’est elle telle qu’elle apparaît devant la caméra. D’une image figée, appartenant à une époque révolue – une image morte si on veut –, Nurith Aviv fait naître une image vive. Et c’est avant tout une opération de parole, soit qu’une voix off accompagne le défilé des photos, soit que celles-ci apparaissent à la suite d’une méditation sur les annonces divines dans la Bible et dans le Coran, donc d’épisodes de la manifestation du Verbe. Comme si la parole était à l’origine de la vie insufflée dans les images.

Car Nurith Aviv s’intéresse au point de jonction de la parole et de l’image – à l’instant où la première engendre la seconde chez le spectateur, à ce moment où les mots se métamorphosent en vision. L’une des premières histoires bibliques qui nous est racontée dans Annonces est celle de la servante d’Abraham, Hagar, envoyée au désert. La lecture s’accompagne de plans sur une terre aride et brûlée. Illustration du texte ? Peut-être, mais surtout façon de fournir au spectateur/auditeur un fond neutre, une toile blanche. Cette image vide de figures humaines est une incitation à créer notre propre vision imaginaire, celle que la parole de la narratrice peut susciter en nous. La véritable annonce, dans le film de Nurith Aviv, est peut-être moins celle faite à Marie que la révélation offerte à la salle : nous aussi, simples spectateurs, sommes à l’image sinon de Dieu, au moins de la cinéaste – des créateurs.