emilyAdolescente, Emily Dickinson quitte son internat pour cause de rébellion contre l’autorité religieuse. Elle rejoint la demeure familiale à Amherst, Massachusetts, retrouve son père, notable respecté, fervent chrétien, sa mère, son frère Austin et sa soeur Lavinia. Emily chérit sa famille et sa maison. L’univers n’est pourtant ni moins clos, ni moins religieux que le pensionnat qu’elle a quitté, mais sera le décor de toute une vie : elle ne s’en éloignera jamais, finira même par s’y enfermer tout à fait, absente au reste du monde. Comme sa soeur, elle refusera le mariage, préférant se consacrer aux siens, incapable et indésireuse de renoncer au cocon familial. L’une des premières scènes du film capture les Dickinson en pleine communion familiale, assis les uns à côté des autres dans une pièce circulaire. Dans un lent travelling, la caméra révèle l’intérieur bourgeois, confortable, pastel, s’arrête sur chaque visage : le père, favoris et noeud papillon noir, les filles, visages frais, robes claires, le fils, version très lisse du patriarche, puis s’arrête sur la mère. En pleurant, elle raconte une vieille histoire : la mort injuste d’un jeune homme à l’aube de son existence. Sa robe comprime sa poitrine, ses yeux rougis et sa voix brisée contredisent la sérénité du cercle. Terence Davis expose ici sa stratégie d’approche du « mythe » Dickinson : donner à voir l’intensité des sentiments de personnages écorchés vifs, tout en utilisant le cadre policé d’un foyer de la haute société américaine pour les atténuer et les rendre supportables au spectateur. Animée du désir d’écrire, Emily s’assoit chaque nuit à son pupitre, plume et papier devant elle. Rythmant le film en voix off, les poèmes nocturnes font écho aux tourments du jour. Le cinéaste rompt avec la figure d’un poétesse « romantique », trouvant l’inspiration dans la beauté du moment ou un quotidien ronronnant. La vie d’Emily Dickinson, riche de privilèges, est une vie de sacrifices moraux, libre de compromis. Si Emily aime Dieu, elle refuse de se soumettre aux injonctions morales de l’Eglise et rompt dans la douleur avec le clergé. Elle observe les hommes et le monde, pour finalement s’en détourner, vivant recluse dans sa chambre, préférant, comme sa soeur le lui reprochera, « la rigueur au bonheur ». Atteinte d’une grave maladie des reins, la poétesse subit d’intenses souffrances physiques. Terence Davis filme crûment et longuement la douleur et l’agonie, le visage ravagé reposant sur de moelleux oreillers, le corps se convulsant dans les draps brodés. Dans la ligne de mire du réalisateur, le contraste entre le plaisir et la douleur de vivre, creusant la veine des poèmes d’Emilie Dickinson. Sensible, structuré, porté par le jeu noble et subtil de Cynthia Nixon, Emily Dickinson : A quiet passion célèbre les tourments et la beauté d’une âme libre.